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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 octobre 1871.

Connaissez-vous plus triste comédie dans des circonstances plus douloureuses ? Il y a un malade, le plus noble et le plus cher des malades, qui s’est vu pour son malheur livré aux empiriques, et qui a été si bien traité par eux qu’il est sorti de leurs mains exténué et mutilé, victime de ceux qui prétendaient le sauver autant que de la maladie elle-même. Survient un médecin, le dernier appelé, et tardivement appelé, comme il arrive souvent. Celui-là ne se fait point illusion, il ne se donne pas pour infaillible, il n’a pas de recettes merveilleuses, aussi meurtrières que merveilleuses ; il sait seulement qu’à ce glorieux patient qu’il a reçu épuisé il faut des soins infinis, une attention vigilante et dévouée, un régime réparateur, et par le fait le mal cède peu à peu, sensiblement. Si ce n’est point encore la guérison complète, qui sera une œuvre de patience et de bonne conduite, c’est du moins déjà un commencement de convalescence, les signes de la vie reparaissent. Pendant ce temps, les empiriques, chassés du chevet de ce malheureux, font du bruit à la porte et se déchaînent, redoublant d’audace, attroupant les passans, vantant plus que jamais la prodigieuse vertu de leurs remèdes. Ils oublient qu’ils ont failli tuer le patient, arraché à grand’peine et à la dernière extrémité de leurs mains. N’importe, que ne les laissait-on faire jusqu’au bout ? Que leur parle-t-on des efforts dévoués et modestes des derniers venus incessamment occupés à guérir les plaies qu’ils ont aggravées ? Ils ne peuvent admettre qu’on leur dispute leur proie, qu’on ait recours à un régime où ils ne sont pour rien, qu’on répare du mieux qu’on peut le mal qu’ils ont fait. Ils revendiquent bruyamment, ils réclameront jusqu’à extinction le droit d’achever le malade selon leurs formules. C’est en vérité notre histoire plus qu’on ne le croirait, et le cher patient, le glorieux malade autour de qui se joue cette triste comédie des regrets ou des ambitions empiriques, nous le connaissons bien. C’est l’histoire de ce gouvernement de bonne intention et de réparation