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à laquelle appartenait la bourgeoisie de Paris, passe au premier plan et déborde le parti conservateur libéral ; favorisée comme toujours par l’imbécillité d’un pouvoir corrompu, elle prend la tête du mouvement et lui imprime l’impulsion révolutionnaire. Les symptômes de ce changement n’ont pas échappé à notre observateur, que ses défiances religieuses avertissaient, il les a notés plus d’une fois avec tristesse ; mais la perturbation dont il se plaint est si grave qu’il en est atteint lui-même à son insu. A partir de 1787, ce fidèle royaliste, cet excellent chrétien, opposant plein de scrupules, cède à je ne sais quels entraînemens séditieux. Il a pris en haine le gouvernement et la noblesse ; son journal n’est plus qu’une diatribe contre l’autorité : il applaudit à l’émeute et flétrit la répression. Hardy est sous l’influence régnante. L’homme d’ordre s’est changé en révolutionnaire, il a pris feu dans l’air embrasé qu’il respire. — Examinons cette dernière partie de son journal ; voyons comment il a raconté les préludes et accueilli les débuts de la révolution.


III

Analyser l’esprit public à la veille de 1789, en ce moment de décomposition sociale, serait un travail très délicat, à peu près neuf même aujourd’hui, et qui exigerait avec beaucoup d’étude et de clairvoyance une rare sincérité. Les historiens de la révolution sont trop pressés d’entrer au cœur du drame pour languir sur les faits de l’avant-scène ; ils sont trop préoccupés de l’idée politique et de la conclusion future de leur récit pour porter un regard absolument libre dans la question des origines. Sans vouloir entamer hors de propos une matière aussi compliquée, nous y toucherons par quelques points où le témoignage de Hardy vient confirmer ou modifier l’opinion reçue.

Il nous signale d’abord, tout en faisant en son propre nom quelques réserves, un sentiment très caractérisé, très peu combattu, qui se dégageait de ce fond troublé et dominait les divergences ; tous les contemporains l’ont décrit après l’avoir éprouvé : c’était, à côté de la passion des nouveautés politiques, une confiance sans bornes dans le dénoûment rapide et inoffensif de la révolution. L’ardeur du désir était égalée par l’enthousiasme de l’espérance ; les plus extrêmes divisions de l’esprit public fraternisaient dans un optimisme exalté. Nous n’en sommes plus certes à nous étonner de la fatuité des illusions où s’endort notre pays à l’approche des pires désastres, ni de la puissance d’ensorcellement qu’exerce sur des cervelles françaises le seul nom de révolution ; pourtant le contraste est si fort entre les riantes prévisions de 1788 et la réalité