Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont cru d’abord à une moquerie ; ils se sont dit que l’administration posait pour la philanthropie. Lorsqu’ils ont vu qu’elle était de bonne foi et du genre naïf, ils n’ont plus pensé qu’à exploiter sa marotte humanitaire. Les uns ont dupé le gouvernement par une conduite hypocrite, dont l’unique but était d’obtenir des faveurs et une libération plus prochaine ; les autres ont profité de sa mansuétude pour le dévaliser en s’évadant, et un beau jour on s’est vu dans l’obligation d’administrer à ces frères égarés de sévères corrections pour les soumettre à la discipline et les maintenir dans le devoir. Encore une pierre qui tombait de l’échafaudage philosophique ! Il s’écroula dans les circonstances suivantes.

Au mois de mars de l’année 1864, la frégate l’Iphigénie débarqua les premiers transportés à la Nouvelle-Calédonie. On les conduisit à l’île Nou. Cette île longue et étroite ferme la baie de Nouméa et fait de ce port un des plus sûrs du monde. Avant le défrichement, elle était boisée ; elle possède encore, bienfait inappréciable, une source d’eau vive et pure, dont les ruisseaux servent non-seulement à la consommation des habitans, mais à l’arrosage de l’île entière. Un Anglais aventureux, M. Paddon, l’occupait avant la colonisation. Cette langue de terre, séparée de la grande île, entourée d’eau et placée sous le canon des hauteurs de Nouméa, était parfaitement propre à l’établissement d’un pénitencier. Il était difficile d’en sortir, la révolte y était impossible ; le sol avait la fertilité des terres vierges, et la salubrité y était parfaite.

On avait choisi cette première compagnie de prisonniers parmi les ouvriers en bâtiment. Ils étaient expédiés en troupe d’avant-garde pour préparer les logemens et les ateliers. On aurait pu laisser ces condamnés entrer en possession paisible de leur prison d’outre-mer et l’inaugurer par le travail ; mais c’était perdre l’occasion de faire une démonstration solennelle en faveur de l’idée humanitaire. Le gouverneur avec sa suite se rendit donc au pénitencier, et fit à ces criminels un beau discours où il fit appel à tous les bons sentimens qu’il leur supposait. Les transportés, surpris de cette réception, écoutèrent attentivement les paroles du chef de la colonie, ainsi que le sermon de leur aumônier. Voyant qu’ils avaient affaire à des gens honnêtes, sincères, férus seulement d’idées originales, ils prirent un air de componction approprié à la circonstance. Ils entendirent la messe avec recueillement, ils chantèrent en chœur pendant le déjeuner, ils montrèrent une docilité de fils coupables, mais repentans et heureux de trouver un père indulgent. Le gouverneur conçut les plus flatteuses espérances ; il en fit plus tard l’aveu public. A tout événement, on interdit les communications entre l’île Nou et la grande terre. L’idée eut ainsi toute