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d’y mettre aujourd’hui de grands troupeaux dans le voisinage d’indigènes affamés ? La colonisation des vallées rencontre un obstacle dans les barrières de montagnes où elles sont enfermées. Cette conformation du sol interdit, quant à présent, les communications par terre ; le transport des denrées, du matériel et des voyageurs est limité à la voie de mer.

Après dix-huit années, la Nouvelle-Calédonie est surtout colonisée par des industriels spéculant sur les besoins de la garnison. Un grand nombre de ces « négocians » sont des étrangers, particulièrement des Anglais. La ville de Nouméa se couvre peu à peu de constructions éphémères que les résidens et même les officiers de passage font élever économiquement, car il est moins cher de bâtir une maison que de payer la location d’un appartement dans un hôtel, c’est-à-dire dans une cage où les chambres ont des séparations en planches mal jointes. Ce n’est pas à dire qu’il n’y ait pas un certain nombre de colons sérieux en Nouvelle-Calédonie, de braves et habiles agriculteurs qui joignent à la culture du café et de la canne à sucre l’élève du bétail et des chevaux ; mais ce sont des exceptions. Rappelez les troupes de la Nouvelle-Calédonie, il n’y restera plus rien, car avec elles disparaîtront les petites industries. Envoyez au contraire des troupes en Australie, les colons feront le vide autour d’elles. Telle est la différence entre nous et les Anglais. Ceux-ci sont des agriculteurs, et nous des détaillans ; la terre suffit aux premiers, les consommateurs sont nécessaires aux seconds. Les Anglais colonisent, les Français exploitent : ceux-là se créent une nouvelle patrie ; ceux-ci, hors de France, sont toujours de passage.

Pour combattre cette tendance et propager le goût de la colonisation, l’administration de l’île avait une idée : l’association communiste et phalanstérienne ! Elle avait le champ libre. En Europe, les principes ou, pour parler comme les sectaires, les préjugés de l’ancienne société ne permettent pas toujours l’essai des réformes humanitaires ; mais à la Nouvelle-Calédonie, dans un pays neuf, la tentative était séduisante. Le gouvernement de l’île profita de l’occasion. En 1864, un navire ayant débarqué des ouvriers et d’autres émigrés d’Europe, on leur offrit la concession gratuite de 15 hectares par colon justifiant de son aptitude à exercer un métier. Vingt émigrés de cette classe ayant été réunis, le gouverneur les associa, et leur donna en propriété commune 300 hectares de terre à Yaté, dans une fertile vallée, déserte encore et éloignée des établissement déjà formés par des colons isolés d’après les principes égoïstes de l’ancienne société ! Les néophytes de ce phalanstère reçurent en outre, à titre d’avances, du bétail, de la volaille,