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pour conserver une indépendance sauvage, croupir et mourir dans la misère pour la satisfaction d’un farouche orgueil, lui semblait souverainement ridicule. Qu’importait qu’on partageât le sol avec ses sujets ? N’en auraient-ils pas toujours assez ! Watton, dans sa sphère, fit ce que firent au Mexique les alliés de Cortez contre Montézuma : il livra le pays, et sa défection permit l’accès des derniers refuges de la résistance. Il fut d’ailleurs d’un très mauvais ou, si l’on veut, d’un très bon exemple, car son alliance avec nous le rendit, sinon le plus considéré des chefs, du moins l’un des plus puissans et des plus heureux. Sans parler de son costume de général, il reçut une médaille d’or, et probablement des témoignages plus solides encore de la libéralité française. Il eut d’ailleurs le mérite d’être fidèle à ses engagemens. Non-seulement Nouméa obtint une parfaite tranquillité, mais le territoire de Watton devint une barrière contre les voleurs et les évadés de la transportation. Il arrêta consciencieusement les uns et les autres, et, comme à la chasse un chien mal dressé, la seule difficulté était de l’empêcher de manger le gibier.

Victorieux à la guerre, triomphant dans les négociations, maître des tribus de l’ouest et de l’est, — le contre-coup des combats heureux dans l’ouest ayant fait tomber les armes des mains des révoltés de la côte orientale, — le gouverneur, M. Guillain, fit aux troupes une proclamation pathétique où, les invitant à jouir du repos et de la paix, il disait : « Le travail qui crée est humainement préférable à celui qui détruit. » Ce truisme humanitaire était en quelque sorte un indice des idées qui allaient présider à l’accomplissement des autres devoirs de l’administration de la Nouvelle-Calédonie. Ces devoirs étaient doubles ; ils comprenaient la colonisation et la transportation.


III

La colonisation, œuvre lente dans toutes les possessions françaises, où l’action du gouvernement se substitue à l’initiative individuelle, est particulièrement difficile à la Nouvelle-Calédonie. L’île est saine, mais de peu d’étendue. Elle est séparée du reste du monde, l’Australie exceptée, par des mers immenses. On y trouve, non pas, comme sur le continent australien, de grands pacages, mais des vallées où la terre est propre surtout à la culture de la canne à sucre, du café, du riz. L’espace est restreint, les deux tiers de l’île étant couverts de montagnes à peu près stériles ou bonnes tout au plus pour l’élève du gros bétail. Plus tard, on pourra sans doute utiliser pour cette industrie les pentes infécondes ; mais le moyen