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arbre ou la tête plantée au bout d’une pique. Nous pourrions citer un grand nombre de ces victimes : par exemple, le colon Alexis Redet, qui, tombé en plein jour dans une embuscade, fut massacré, et un guetteur qu’on assassinait à midi au sémaphore, c’est-à-dire à 300 mètres du camp. Quelquefois on entendait tout à coup une détonation le soir, alors que nos soldats étaient assis autour des feux du bivouac ; un homme tombait, et il était inutile de chercher le meurtrier, dont la fuite était favorisée par l’obscurité et la végétation, — les naturels choisissaient surtout la nuit pour leurs attaques. Si par mégarde nos ouvriers oubliaient sur les chantiers des outils ou des instrumens, on les retrouvait rarement le lendemain. La témérité des naturels nous tenait constamment en éveil. Une sentinelle avancée était postée près d’une petite ravine ; toujours le soldat placé dans cette position dangereuse voyait ou entendait ramper sous les bois de fer, et, s’il n’eût pas été prompt à crier aux armes, il aurait été assommé par une main invisible. La souplesse et la hardiesse de nos ennemis étaient telles qu’ils commettaient avec impunité les vols les plus audacieux. Ainsi, devant une case en paille où se trouvait un dépôt de marchandises, une garde d’infanterie avait été placée à quelques mètres ; les indigènes vinrent la nuit, firent un trou dans la hutte où ils pénétrèrent, la plus grande partie de l’approvisionnement fut enlevée. Ce coup de main fut opéré avec tant d’adresse que nos hommes ne le soupçonnèrent même pas. Une autre fois une cinquantaine de naturels se ruèrent sur un poste de quatorze hommes à 200 mètres du camp. L’attaque fut si brusque qu’il fallut livrer un combat corps à corps ; nos soldats n’eurent pas trop de tout leur sang-froid et de toute leur énergie pour repousser ces hommes, qui semblaient sortir de terre. »

La lutte n’était plus aussi vive au moment où le nouveau gouverneur résolut d’y mettre un terme. Il y réussit surtout par la diplomatie. Ils entendit avec le principal chef de tribu des environs. Ce personnage, nommé Titéma, et que les colons, pour la plupart Anglais d’Australie, appelaient Watton, était d’un caractère assez doux et enclin aux idées pacifiques : un honnête homme dans son genre, quoique cannibale, — sceptique, bon vivant, qu’on vit plus tard trinquer volontiers avec le premier venu dans les rues de Nouméa. Il avait d’abord pris part à la guerre contre les Européens ; mais, n’y ayant rien gagné que des coups, il était revenu de meilleurs sentimens ; le don d’un chapeau de général à plumet et d’un frac à grosses épaulettes avait complété sa conversion. Watton connaissait de longue main les avantages du commerce ; il s’était enrichi par des échanges avec les trafiquans américains et anglais qui promènent leurs navires d’île en île. Combattre jusqu’à la mort