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une certaine influence dans quelques tribus, moins par leurs prédications que par leur conduite pacifique. Les naturels divisent la nation française en deux catégories : les prêtres et les soldats. Les soldats sont leurs ennemis ; les prêtres au contraire se sont posés en défenseurs de la population indigène. Ils ont cela de commun avec elle, qu’ils n’aiment guère l’autorité séculière.

Il n’y a jamais eu d’entente complète entre les missionnaires et le gouvernement local dans la poursuite d’un but commun. Les intérêts sont différens comme les principes. Dès l’origine, la mission, tout en acceptant la protection de nos forces, s’est tenue à l’écart, s’efforçant de se réserver une action distincte et d’échapper à l’engrenage de la machine gouvernementale. De leur côté, les premiers administrateurs de la colonie se sont bornés à considérer les missionnaires comme des auxiliaires indépendans, dont les intentions étaient bonnes sans doute, mais dont les efforts étaient mal dirigés. Un peu de dédain d’un côté, un peu d’éloignement de l’autre, ont toujours caractérisé les rapports du gouvernement et de la mission ; ce qu’il y a de mieux à dire de ces rapports, c’est qu’ils ont été empreints d’une tolérance mutuelle jusqu’au jour où des essais d’administration athée et socialiste ont, comme nous le verrons plus loin, aliéné les missionnaires, qui dès lors ont crié à la persécution. Au reste, nulle part les missionnaires ne sont en parfaite harmonie avec l’autorité temporelle. Ils ont leur organisation, leurs chefs, leur gouvernement à eux, ils font un état dans l’état ; ils voudraient être protégés, ils ne veulent pas obéir.

A la Nouvelle-Calédonie, l’histoire de la mission finit réellement avec l’établissement de la souveraineté française, qui dès lors agit dans la plénitude de son droit ; mais quelle incertitude dans l’administration de la nouvelle colonie ! Où sont les plans de colonisation ? où trouverons-nous une direction intelligente, ferme et suivie ? Que d’années se passent en tâtonnemens, en essais abandonnés aussitôt que commencés !

On mit d’abord à l’étude la question du commandement de la colonie. Convenait-il mieux d’avoir à la Nouvelle-Calédonie des commandans particuliers, était-il préférable de nommer un gouverneur-général réunissant sous ses ordres les îles de la Société, avec les îles Marquises et la Nouvelle-Calédonie ? Celui qui commanderait la station serait-il ou ne serait-il pas gouverneur ? Aurions-nous un gouverneur à la mer ou bien un gouverneur à terre ? Il semblait vraiment que la colonie fût faite pour les emplois, et non les emplois pour la colonie. Comme il est nécessaire pour l’avancement des marins qu’ils fassent un certain temps de service à la mer, le commandement des stations est le moyen de monter en