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ces vallées plantées de cocotiers, ces cultures d’ignames, de bananes, de cannes à sucre, ces ruisseaux bondissant sous les ombrages et jaillissant en écume dorée par le soleil, il conçut l’idée d’un Éden habité par des êtres doux et innocens. C’est seulement plus tard, lorsque d’Entrecasteaux visita le pays à son tour, que l’on connut le contraste de ce charmant tableau avec le caractère fourbe, la physionomie repoussante, les appétits féroces des habitans.

Toutefois l’aspect du pays n’est pas aussi séduisant dans toutes les parties de l’île. On pourrait la diviser en trois régions : celle de l’est, où l’on voit les belles vallées et l’abondante végétation qui frappa tout d’abord les navigateurs ; celle du sud, qui présente un caractère d’aridité et de désolation ; celle de l’ouest enfin, où règnent les épaisses et obscures forêts. La région du sud offre au regard d’immenses plateaux dénudés, un sol rougeâtre, des scories de pierres brûlées, des traces récentes d’éruptions volcaniques. Les montagnes sont des blocs entassés, on dirait des dolmens de Titans. Les anfractuosités de ces rochers jetés pêle-mêle ouvrent autant de précipices sous les pas du voyageur : ce sont des pièges dissimulés par des troncs d’arbres, des plantes entrelacées, des herbes en décomposition. Les plaines, au pied de ces pics arides, sont dépourvues de végétation. Couvertes d’une argile ferrugineuse, rebelle à l’infiltration des eaux, elles conservent à la surface les pluies qui descendent des montagnes, et qui forment une chaîne de lacs stagnans. Le sol, où l’humidité ne pénètre pas, suffit à peine à nourrir une herbe sèche ; aussi les habitans de l’île ont abandonné cette région, qui est restée à peu près déserte. À l’ouest, les épaisses forêts sont devenues le refuge de la sauvagerie. Les criminels en fuite, les révoltés, les naturels qui ne peuvent se réconcilier avec la souveraineté étrangère ou qui restent cannibales par haine contre les Européens, ont trouvé sous ces arbres séculaires un asile presque inaccessible. S’ils étaient disciplinés et pourvus de bonnes carabines, il ne faudrait pas moins d’une armée pour les atteindre et les réduire.

La Nouvelle-Calédonie a dans l’ensemble la forme d’un vaisseau naviguant au nord-est. Elle fut abordée pour la première fois à la fin du siècle dernier par le capitaine Cook, auquel succédèrent La Pérouse, d’Entrecasteaux, l’Anglais Kent, et, à vingt ans d’intervalle, Dumont-d’Urville. Malgré de fréquentes querelles avec les habitans, les équipages disciplinés de ces navigateurs ne firent point de mal au pays. Leurs écarts étaient réprimés, toutes les mesures étaient prises pour préserver les naturels des vices de notre civilisation. Les Néo-Calédoniens étaient, hélas ! assez riches de