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gère colonne de fumée y attira mes regards, et j’aperçus une espèce de tertre rond adossé à la jetée; en l’examinant de plus près, je finis par reconnaître une hutte dont les murs étaient faits de pierres et de terreau noir, le toit de pièces de gazon et de branches sèches. L’entrée du taudis était du côté de la pelouse et de la baie, elle livrait passage à la colonne de fumée qui avait éveillé mon attention. Un filet était suspendu aux branches d’un saule. Je voulus connaître les habitans de cette construction primitive, et je descendis le talus de la jetée.

Dans l’obscurité de la hutte de terre, qui n’était que bien faiblement éclairée par les fentes du toit, par la porte ouverte, par le feu qui flambait près de l’entrée, et dont le fond se perdait dans une sorte de caverne creusée dans le sol, était assise sur une souche d’arbre une forme indécise, qui se leva précipitamment à mon approche. C’était une svelte jeune fille qui pouvait avoir seize ou dix-sept ans. Elle n’était vêtue que d’une chemise trouée comme le filet qui pendait devant la hutte, et d’un mince jupon déchiqueté et effiloqué depuis le bas jusqu’à hauteur des genoux. A peine ces vêtemens, qui ne devaient pas avoir été changés depuis bien longtemps, couvraient-ils son maigre corps. Cela ne l’empêcha nullement de se montrer au grand jour; une longue habitude lui faisait apparemment oublier la défectuosité de son costume. Dans ce petit visage rond, d’un vrai type irlandais, au nez légèrement retroussé, deux yeux limpides et doux, mais un peu surpris, me regardaient avec curiosité. Enfin elle sourit en montrant dans sa petite bouche rose deux rangées de perles resplendissantes. Ses cheveux d’un brun clair, qui tombaient sur les tempes en grosses mèches, étaient par derrière ramassés dans un nœud qui en laissait échapper une partie qu’on voyait flotter sur le cou blanc et nu. Ses joues étaient pâles et un peu creuses, ce qui détruisait la ligne naturellement ronde du contour, mais en donnant à la figure quelque chose de particulièrement suave.

— Un étranger! s’écria-t-elle lorsqu’elle fut près de moi, et elle me toisa da la tête aux pieds.

— Je suis venu de bien loin, lui dis-je en ayant égard au caractère irlandais, que j’avais déjà eu le temps d’étudier; je suis venu de bien loin, mademoiselle, pour visiter votre admirable Laugh-Neagh,

— Je suppose, répondit-elle, que c’est le plus beau lac du monde entier.

— Sans doute, fis-je de l’air le plus sérieux, et j’acceptai son invitation d’entrer dans la hutte.

Le regard n’y rencontrait que des ténèbres vides. Je crus d’abord