Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont le siège, et qui répond à l’intensité du travail souterrain, assisté aux évolutions et aux manœuvres de cette flotte qui couvre le port d’embarquement, circulé sur les chemins de fer de l’entreprise, visité les maisons d’ouvriers, la fabrique d’agglomérés qui en dépendent, les communes industrielles et rurales qu’elle a vues naître et grandir. On n’a eu jusque-là sous les yeux que l’activité matérielle ; l’activité morale échappe en grande partie et ne devient sensible qu’à des dates et sous des conditions particulières, quand la maison de régie s’ouvre vers le 20 juillet ou le 20 octobre de chaque année. C’est le moment où la surveillance générale s’exerce et où les grandes résolutions se prennent ; le conseil des gérans ou des régisseurs, pour employer le mot exact, se réunit sur la convocation de l’homme considérable, souvent illustre, qui le préside. Le soir, les chefs de service, les ingénieurs, les simples employés, sont admis à la table du conseil ; c’est un grand honneur pour eux, périodiquement attendu, et dont ils sont fiers et touchés. C’est également une occasion de se mieux rapprocher, de juger les hommes, de voir quel esprit les anime, de connaître, au contact de spécialités diverses, l’opinion de chacun et de tous sur les affaires communes. Il n’y a plus là alors ni une spéculation, ni une entreprise, ni une compagnie, dans le sens étroit du mot ; il y a là une famille représentant au premier degré les familles plus humbles dont elle a la charge, et qui, même en cette circonstance, font l’objet principal de ses préoccupations.

Un dernier titre pour Anzin, c’est la manière dont cet établissement vient de traverser nos jours d’épreuves. La guerre, le blocus n’ont point interrompu, ont à peine affaibli la puissance de ses services. Deux levées de soldats et les appels successifs de mobiles avaient éclairci les rangs de ses ouvriers ; le grand débouché de Paris était fermé à ses convois ; Anzin n’en a pas moins maintenu sous toutes les formes ce travail d’extraction qui est sur ces lieux le pain des familles. Pendant longtemps, le charbon a encombré ses fosses, comblé ses gares, couvert ses rivages ; avec ses larges réserves, la compagnie a suffi à tout. Elle a pu payer cinq mois de salaires sans en recevoir la contre-valeur, sans entrevoir même le moment où elle la réaliserait. Sa caisse a porté le poids de ses formidables avances. Énergique et nouveau témoignage de vitalité de la part d’un établissement qui dans les temps les plus difficiles a recueilli les bénéfices de sa prévoyance, et n’a jamais fait un vain appel ni à l’argent ni aux hommes !


Louis REYBAUD.