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poche que sur la manche de leur uniforme. En revanche, la population civile l’arborait avec empressement, et il n’était personne soignant ou ayant l’intention de soigner un blessé qui n’eût au bras la bande blanche à croix rouge. Après Borny et Gravelotte, l’intendance militaire, qui n’avait pas cru tout d’abord devoir donner le brassard à ceux qui devaient le porter, en distribua à profusion. Soldats du train, paysans conduisant des voitures de réquisition, mais n’ayant rien de commun avec le service sanitaire, dames soignant les blessés, tous se mirent à porter le brassard estampillé par l’intendance. L’abus ne tarda pas d’avoir de graves conséquences, dont la moindre était de permettre à ces misérables qui suivent toutes les armées d’aller impunément, sous prétexte de rechercher les blessés, dépouiller les morts sur le champ de bataille. Après les batailles de Borny, Gravelotte et Saint-Privat, j’avais pu obtenir des médecins et des officiers prussiens la remise de nos officiers blessés et prisonniers, et plus tard celle de tous nos blessés transportables. Le 21 août, j’espérais arriver au même résultat pour 200 blessés restés à Gravelotte ; mais les choses avaient changé de face. Je reçus un moins bon accueil, et je dus revenir dans nos lignes sans avoir rien pu obtenir. Le général prussien ne me cacha pas qu’il était peu satisfait de la manière dont nous exécutions la convention, que l’abus que l’on faisait du brassard le lui rendait suspect. On le trouvait, disait-il, dans chaque village sur des gens n’appartenant pas à l’armée, et il pouvait devenir un moyen de faciliter l’espionnage et la violation des cadavres. Je crus devoir signaler ces faits au maréchal Bazaine dans une lettre datée du 22 août ; cette lettre amena un arrêté qui coupa court à l’abus, et les personnes soignant les blessés prirent pour signe distinctif une croix de laine bleue appliquée sur le côté gauche de la poitrine. A l’armée de la Loire, à Paris, nous retrouvâmes la manie du brassard ; les Prussiens, eux aussi, en abusèrent : il y a lieu de revoir sur ce point la convention de Genève. Cela est d’autant plus important que nous n’avons pas, comme en Prusse et en Autriche, un train d’équipages spécial au service de santé. Nos soldats du train sont tantôt occupés à transporter des blessés, tantôt à convoyer des vivres et même des munitions, et lorsqu’après Borny nous allâmes dans les ambulances prussiennes reprendre nos soldats blessés, la présence des cavaliers du train des équipages qui nous avaient été donnés comme convoyeurs amena de la part de l’ennemi d’assez vives observations. Il y a plus : à un certain moment, on fit peindre sur beaucoup de voitures de transport l’écusson de la neutralité, et, dans un fourrage que l’on fit à Lauvallière dans les derniers temps du blocus, les voitures portaient toutes la croix rouge sur fond blanc. L’ennemi du reste commit plus d’une fois semblables irrégularités.