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LES
DEUX ALLEMAGNES

MADAME DE STAËL ET HENRI HEINE

Je viens de relire deux ouvrages publiés sous le même titre à l’intervalle d’un quart de siècle par deux écrivains célèbres, — l’Allemagne de Mme de Staël et celle de Henri Heine. — Rien ne les rapproche que le sujet. Ils diffèrent complètement par le point de vue des deux auteurs aussi bien que par le style et les formes de l’art. C’est cette opposition même dont j’ai voulu me rendre compte. Le sujet qu’ils traitent est d’ailleurs de ceux qui auront longtemps pour nous un poignant intérêt.

Quand un grand malheur est survenu dans la vie d’un homme ou dans celle d’une nation, après le premier moment d’accablement, c’est une consolation sévère, mais enfin c’en est une, de se demander s’il était possible de se tenir en garde contre la fatalité. La fatalité ! une chose et un mot à la fois, — une réalité terrible, un joug de fer dont nous sommes nous-mêmes les artisans funestes, en même temps un nom commode sous lequel se cachent nos fautes et nos imprévoyances. — On ressent alors une sorte de curiosité tristement passionnée, un désir violent de remonter le cours du passé pour y surprendre les avertissemens mal compris, les pressentimens négligés. On veut consulter les oracles dont la voix s’était perdue dans le tumulte des événemens ou dans le bruit de notre propre frivolité ; on éprouve je ne sais quel plaisir amer à se rendre compte