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en effet ce qui arrive, — Jeune, sans expérience, on entre dans la chirurgie militaire avec l’intention bien arrêtée d’y faire et d’y continuer une honorable carrière ; bientôt, avec la maturité de l’esprit, avec la science, vient un sentiment plus vif de la dignité personnelle et professionnelle. La situation déplorable faite aux chirurgiens militaires par la suprématie de l’intendance, les froissemens de toute nature, amènent les démissions ; elles se succèdent sans interruption, et aucun corps de l’armée n’en présente un pareil exemple. — Malgré ces pertes continuelles, le cadre pourrait être maintenu au chiffre exigé par les nécessités du service, si le recrutement ne présentait pas les plus grandes difficultés. N’est-il point remarquable qu’à une époque où toutes les carrières sont encombrées, où les candidats se pressent en foule aux concours de Saint-Cyr et de l’École polytechnique, la chirurgie militaire ne parvienne pas à compléter ses cadres, même en acceptant tous les candidats admissibles, même en faisant appel à la besoigneuse anxiété des parens pauvres, même en donnant des bourses ou des demi-bourses aux quatre cinquièmes des élèves ? Du reste, il faut bien le reconnaître, dans la chirurgie militaire de tous les pays, le recrutement se fait avec difficulté. Les raisons en sont les mêmes partout. L’élève qui a pu trouver dans sa famille les ressources suffisantes pour commencer et pour terminer ses études médicales préfère la médecine civile à la médecine militaire. En effet, si l’incorporation dans les rangs de la chirurgie d’armée supprime la lutte, le struggle for life, de la pratique civile, si elle permet au médecin militaire la douce quiétude que donne l’assurance d’avoir à toucher tous les mois une somme déterminée, elle ne lui laisse d’autre espérance que celle d’aller passer sa vieillesse dans quelque petite ville de province en dépensant sa solde de retraite. La pratique civile a pour elle les périls, mais elle a aussi les avantages de la liberté : si elle ne donne pas la fortune, elle donne du moins l’aisance et n’exclut pas les joies de la famille.

Presque partout en Europe, les écoles spéciales de médecine militaire répondent à ces deux buts distincts : fournir à quelques élèves sans fortune le moyen de faire des études médicales en échange d’un engagement de servir pendant un nombre variable d’années ; donner à tous les élèves les connaissances spéciales qui sont, quoi qu’on en dise, indispensables au chirurgien d’armée, et que ne possède pas le médecin civil.

La célèbre académie Joséphine, fondée en 1785 par l’empereur Joseph II, est l’école spéciale de médecine militaire pour l’empire d’Autriche. Elle donne l’instruction médicale complète aux élèves qui se destinent à la médecine militaire, mais ces élèves sont