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ESSAIS ET NOTICES.

LE METROPOLITAN MUSEUM OF ART DE NEW-YORK.


Nous prenions aisément notre parti, en Europe, de la toute-puissance industrielle des États-Unis, de leur prospérité commerciale et financière, de leur active énergie, qui fait sortir du néant, du désert le plus aride, d’un printemps à l’autre, des villes de 100,000 âmes abondamment pourvues d’eau, de gaz, d’écoles, d’églises ; nous n’étions point jaloux de tout cela, ni de leur génie pratique, ni même de quelques-unes de leurs libertés, considérant sans doute que ce n’était pas trop de telles compensations pour se consoler de n’avoir point de goût. Voyant s’écouler au-delà de l’Océan tout le rebut des expositions européennes, et, dans un ordre un peu plus élevé, les préférences américaines aller aux plus pâles de nos peintres, aux talens atteints de chlorose, corrects pour toute vertu, et encore ! — sachant que les fabrications éhontées de tous les faussaires en matière d’art leur étaient destinées et étaient par eux bien accueillies, — stupéfaits de l’hétéroclite apparition de leurs peintures décoratives dans les grandes halles internationales de Paris et de Londres, les Amours de Paul et Virginie, par exemple, se déroulant sur les flancs d’airain de leurs locomotives géantes : « Pauvre Amérique, pensions-nous, tu es et tu resteras toujours de roture ; tu peux être riche, tu ne seras jamais artiste ! » Voilà que ce que nous constations, et peut-être avec une certaine satisfaction d’amour-propre l’Amérique à son tour l’a constaté ; mais de même qu’aussitôt après l’exposition de 1851 à Londres l’Angleterre, humiliée de sa défaite dans le champ des industries d’art, se lança, guidée par le prince Albert, dans ce mouvement qui a enfanté le musée de Kensington et son cortège d’écoles, de même, depuis cette année 1867 qui montra la France si grande et lui fit tant d’ennemis, l’Amérique est désormais travaillée par une ambition nouvelle : elle veut être artiste. Comment y parvenir ?

Boston est la première ville où la question fut agitée. Dès 1868, on y parlait de fonder un musée d’art industriel, une sorte de Kensington Museum ou d’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie. M. Perkins, un dilettante, auteur d’intéressans travaux sur les arts, était chargé de l’organisation. Les choses traînèrent en longueur, les projets déjà formés n’eurent pas de suite immédiate ; peu importe, l’éveil était donné. New-York, la cité impériale, la rivale de Boston, reprit l’idée pour son compte en la modifiant. Elle y fut poussée comme de vive force par un de ces grands manufacturiers que leur fortune colossale, leurs innombrables relations, leur vaste érudition, désigneraient ici pour de hautes situations politiques, et qui là-bas ont l’habileté de savoir n’être rien pour rester tout, — nous voulons parler de M. Blodgett.