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Laissons, laissons passer tout ce qu’il y a de personnel dans ces polémiques ardentes, et ne retenons de cette multitude de publications militaires que ce qui peut être utile au pays. Il n’est que trop vrai que, sauf des batailles qui sont l’honneur des généraux et des soldats, dont quelques-unes égalent les plus grandes batailles du siècle, toute cette malheureuse campagne a été pleine de décousu et de faux calculs. Non certes, nos chefs militaires ne se sont pas montrés des hommes de génie, et M. Gambetta, en s’improvisant stratégiste pour sauver la France dans la seconde partie de la campagne, n’a pas été plus habile ou plus heureux que les autres ne l’ont été à Sedan et à Metz. Dans cette confusion sanglante, la discipline avait disparu, on avait perdu l’habitude des plus simples prévoyances militaires, on se livrait au hasard, qui conduit inévitablement à la défaite ; mais ce qui n’est pas moins vrai, c’est que la première faute a été surtout à ce gouvernement qui s’est précipité vers la guerre sans savoir où il allait, avec une armée insuffisante et mal organisée, s’exposant à être surpris « en flagrant délit de formation, » et la guerre une fois engagée, sous le coup même des premiers désastres, la politique venait tout perdre. On a ici l’aveu de l’empereur dans une lettre à sir John Burgoyne qui vient d’être publiée. Si on tardait à quitter Metz, c’était par « des considérations politiques, » et c’était encore par « des considérations politiques » qu’on entreprenait « la marche la plus imprudente et la moins stratégique, qui a fini par le désastre de Sedan. » Que pouvait-il résulter d’une campagne ainsi engagée, avec des forces incomplètes, avec un commandement tombant dès le premier jour en défaillance, avec l’arrière-pensée de sacrifier l’intérêt militaire à l’intérêt dynastique ? L’empereur le dit, tous ces livres qui se publient le prouvent, jamais une guerre n’a été plus tristement inaugurée et plus fatalement conduite. Le plus grand malheur n’est point d’avoir été battu, c’est d’avoir mérité d’être battu. Voilà la moralité de cette campagne au point de vue militaire, et c’est sous le poids de cette moralité que le gouvernement auteur de ces désastres a succombé.

Ce qu’il y a de plus étrange et de plus navrant à la fois, c’est que cette guerre néfaste, le gouvernement de l’empire ne l’avait pas mieux préparée par la diplomatie que par la vigilance de son administration militaire. Dans cette enquête qui se poursuit sur tous les points et qui ne pouvait laisser de côté l’histoire diplomatique de ces dernières années, notre ancien ambassadeur à Berlin, M. Benedetti, par un livre tout récent, qui a pour titre : Ma Mission en Prusse, porte, lui aussi, son témoignage, — témoignage d’autant plus significatif, d’autant plus éloquent, que l’auteur ne peut être soupçonné de malveillance, qu’il est resté fidèle à l’empire. M. Benedetti a eu le malheur d’être le diplomate dont la main obéissante avait allumé l’incendie, et naturellement il a eu sa part des bourrasques de l’opinion. On l’a accusé d’avoir tou-