Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/950

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur le siège de Paris ; demain, ce sera le général Montauban, le chef du cabinet du mois d’août 1870, qui avec son livre, un Ministère de vingt-quatre jours, viendra dire à son tour ce qu’il a voulu, ce qu’il a essayé.

En un mot, c’est sur toute la ligne une polémique bruyante et passablement confuse, un tumulte de contradictions et de récriminations, une mêlée où la politique apparaît à travers les faits militaires, où les amours-propres et les susceptibilités personnelles s’entre-choquent, où les apologies intéressées appellent inévitablement les représailles. Hélas ! c’est l’éternelle histoire. Quand la maison tombe en détresse, tout le monde se querelle, on s’accuse mutuellement, on se renvoie la responsabilité, on écrit des livres, des brochures et même des lettres où l’on n’oublie pas de se donner le beau rôle. C’était facile à prévoir, puisque c’est inhérent à la nature humaine, et que les soldats ressentent plus que tous les autres l’amertume de la défaite. Il faudrait cependant y prendre garde et ne pas prolonger outre mesure ces polémiques qui à la longue, lorsque l’ardeur de la personnalité s’en mêle, ne servent plus le pays et risquent d’affaiblir encore plus le sentiment de la discipline dans l’armée, — où les hommes finissent par se diminuer eux-mêmes en voulant trop se défendre. M. le général Faidherbe n’a point été le dernier à entrer en explication avec le public ; il a raconté dans un livre honorable et un peu terne sa campagne du nord ; jusque-là, rien de mieux. Où donc était pour lui la nécessité de se remettre en scène et d’écrire des lettres où il semble prendre l’attitude d’un républicain consommé et invariable ? M. le général Faidherbe tient à déclarer qu’il n’a jamais été pour l’empire, qu’il n’a point reçu, selon ses expressions, de services personnels de l’empereur, de l’impératrice et du prince impérial. Soit, il n’a reçu que des grades et des décorations qu’il n’a pas refusés, personne, ce nous semble, ne le lui reproche ; il a fait ce que font beaucoup de militaires, il a servi le pays sous l’empire comme sous d’autres gouvernemens, il a été récompensé pour ses services, que le prince Napoléon s’est empressé de faire valoir, à ce qu’il paraît, et que l’empereur s’est plu à reconnaître en donnant des commandemens à un officier distingué. Tout cela n’a rien de bien extraordinaire. À quoi bon avoir l’air de reprocher à d’autres ce qu’on a fait soi-même et s’exposer à provoquer par des lettres d’aujourd’hui l’exhumation d’autres lettres d’il y a quelques années, qui n’étaient pas absolument du même ton ? Qu’on nous permette de le dire, les chefs militaires, quand ils ne sont pas des hommes de premier ordre, risquent d’être fort dépaysés dans la politique et d’y trouver toute sorte de pièges. M. le général Faidherbe est resté jusqu’ici pour tous, sans distinction d’opinion, un officier de mérite estimé pour ses efforts et pour son caractère ; il a été presque un moment sur le chemin de la popularité : le voilà aujourd’hui sur le point de se réduire aux proportions d’un homme de parti, s’il ne s’arrête à temps.