Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/945

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vient sensiblement conservatrice sans aller cependant jusqu’où elle allait au mois de février. Sait-on ce que prouvent ces faits ? C’est qu’à travers tout la France est essentiellement modérée, libérale, conservatrice ; elle a peur des exaltés de la droite aussi bien que des radicaux de la gauche, et elle les évince du scrutin. Là est la vérité de la situation, dégagée de toutes les fantasmagories des partis ; là est la seule force politique réelle, tout le reste n’est que fiction ou agitation. Après cela, que resterait-il à faire ?

Une chose bien simple, qu’on ne fera pas sans doute parce qu’elle est trop simple. Il resterait à réaliser un progrès d’où dépend peut-être l’avenir des institutions libres. Aujourd’hui les élections qui viennent de se faire complètent la réorganisation administrative du pays ; la France est légalement constituée, en possession régulière d’elle-même ; elle a une assemblée souveraine, des conseils de département, des conseils de commune. Le vrai progrès, ce serait que personne ne songeât à dénaturer ces formes diverses de la représentation publique, que chacun restât dans sa sphère : l’assemblée nationale occupée à faire des lois, les conseils-généraux gérant les intérêts des départemens, les conseils municipaux administrant les communes. Malheureusement en France la passion de tous les hommes est de dépasser les limites de leurs droits, et c’est ainsi que pour certains conseils-généraux ou municipaux la première chose à faire est de s’occuper de politique. Aussi qu’en résulte-t-il ? Une confusion inévitable qui altère et compromet toutes les institutions. C’est là le mal invétéré contre lequel le gouvernement est tenu de réagir sans cesse en s’appuyant sur cette force d’opinion libérale et conservatrice qui s’offre si visiblement à lui dans toutes les occasions.

Cette œuvre nécessaire du gouvernement, elle n’est certes rien moins que facile au temps où nous vivons, elle est surtout absorbante, laborieuse et souvent mortelle à ceux qui s’y dévouent avec une sincérité courageuse, avec la passion du bien public. Elle vient de coûter la vie à un des hommes les mieux doués, les plus propres à faire aimer et à honorer le gouvernement, au ministre de l’intérieur, M. Lambrecht, qui a succombé à la peine, enlevé subitement comme sur un champ de bataille. Ancien élève de l’École polytechnique et dès longtemps familiarisé avec tous les problèmes de l’industrie, esprit instruit et éclairé, caractère attachant et modeste, M. Lambrecht avait tout ce qu’il faut pour faire du bien sans faire beaucoup de bruit. Il avait été du corps législatif de l’empire, et on croit rêver quand on se souvient que cet homme bienveillant et modéré avait rencontré aux élections les hostilités de l’administration impériale ; il l’avait mérité en effet, il avait été un des premiers parmi ceux qui demandaient des réformes libérales ! Patriote sincère et douloureusement éprouvé par les événemens, ami dévoué de M. Thiers, il avait accepté par abnégation, bien plus que par ambition,