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faute fait du pécheur une masse inerte d’où toute vie semble s’être retirée. L’orgueil humain, terrassé, laisse la créature sans force contre le désespoir qui l’envahit, l’oppresse, la torture, et c’est alors que les larmes, amères et abondantes, coulent sans fin, c’est alors que tout son être se révolte, contre elle-même d’abord, puis contre Dieu. « Malheureux homme que je suis ! s’écrie saint Paul ; qui me délivrera de ce corps de mort ? » Mais l’apôtre a la foi, la foi toute-puissante, bienheureuse, invincible, la foi qui justifie sans les œuvres de la loi, la foi qui laisse le vieil homme dans le sépulcre du Christ et nous fait entrer dans une vie nouvelle.

C’est cette foi, assez forte pour changer la face du monde, c’est cette ardente piété qui inspirait à Luther une aversion invincible pour les Juifs. Les Juifs en effet n’ont pas connu la piété véritable. Les Grecs eux-mêmes, si hautement doués, manquaient de ce sentiment, du moins tel que nous pouvons l’étudier dans l’Inde et dans les contrées germaniques et celtiques. Seules, les races de ces régions devaient éprouver ce sentiment exquis et profond, cette tendresse de cœur qui se résout en larmes, cette délicatesse infinie de la conscience, cet amour exalté et maladif qui fait mourir d’une langueur divine. La certitude de toutes les joies de l’éternité n’a jamais empêché l’âme de ces chrétiens d’être accablée de tristesse. C’est que rien ne peut combler l’abîme de sensibilité qui est en eux. La sensualité des Sémites soulève leur cœur de dégoût. Elles ont un mot pour exprimer l’aspiration vers l’infini, vers l’inconnu, vers l’idéale patrie des rêves. Leur histoire atteste qu’elles ont longtemps dédaigné ce qu’on appelle luxe et confortable. La pureté morale et le sentiment exquis des choses belles et bonnes leur tint lieu de tout, et fut pour elles la source des plus vives jouissances. Leur génie aimait à planer dans les purs espaces du monde des idées ; mais, quand l’âme du chrétien retombait épuisée de ces hauteurs sur cette terre, quand elle se sentait pénétrée de ce sentiment de lassitude et de dégoût que les saints eux-mêmes ont connu, lorsqu’une immense tristesse la livrait brisée aux étreintes terribles du désespoir, ah ! ce qu’elle demandait alors à Jésus, c’était non pas, comme le Juif, un royaume terrestre, un triomphe temporel, une victoire sur les nations, — mais la résignation et la douceur de celui qui, au jardin de Gethsémani, s’était senti, dit-on, le cœur rempli d’amertume et d’angoisse, avait été triste jusqu’à la mort, mais n’avait point repoussé le calice de l’expiation. « Père, que ta volonté soit faite, et non la mienne ! » Ainsi disait Luther. Combien de fois la pensée du divin crucifié ôte à la souffrance toute son amertume, et verse l’extase dans l’âme endolorie du croyant !


JULES SOURY.