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études orientales. Luther ne le comprit pas ; il ne sut point résister à sa violente antipathie pour les Juifs. Ici encore il fut dominé par sa dogmatique.

Luther était persuadé que les rabbins ne peuvent avoir l’intelligence véritable de la Bible ; il en trouvait le témoignage irréfragable dans Isaïe (XXVIII, 11 ; XXIX, 14). La Bible est pour les Juifs un livre scellé et fermé ; c’est dans une langue étrangère qu’elle parle à ce peuple. Le Nouveau-Testament d’ailleurs est la clé de l’ancien. Il était si convaincu qu’un Juif ne peut comprendre l’Évangile, qu’il lui arriva de dire : « Si un Juif venait me demander le baptême, je le conduirais aussitôt après la cérémonie sur le pont de l’Elbe, et je le jetterais à l’eau une pierre au cou. » Ce sont là des exagérations pittoresques, des traits d’humour, comme on en remarque souvent dans les « conversations » de Luther. En réalité, cet homme excellent n’a jamais accablé de sa haine que des ennemis imaginaires. Il avoue quelque part que, lorsqu’il voulait écrire contre le pape ou quelque autre de ses grands ennemis, il avait besoin de se mettre dans un certain état d’esprit. C’était un artiste. Quant à cette aversion pour les Juifs, quant, à ce vieux fonds de haine extravasée au cœur de tout chrétien, c’est là un fait de race, quelque chose d’héréditaire, d’inconscient et d’inné comme l’instinct.

Voilà bien toutefois comment un Saxon, un chrétien, un mystique, devait parler de ces rabbins qu’un Reuchlin, un Santès Pagnini, un Sébastien Münster, ne craignaient pas d’appeler leurs maîtres. Ces rabbins étaient doctes, soit ; mais que savaient- ils des luttes et des angoisses de l’âme qui firent passer Luther de la mort à la vie ? Que savaient-ils de l’amour, de la divine confiance en Jésus qui nous a délivrés du poids de nos péchés ? Que savaient-ils de ces joies de la conscience qui ouvrent le paradis au chrétien régénéré par la foi ? C’est toujours en effet à ce grand dogme de la justification par la foi qu’il faut en revenir lorsqu’on veut expliquer n’importe quelle parole ou quelle pensée de Luther, sa critique comme son exégèse, sa science et sa morale comme toute sa vie spirituelle et religieuse. Grande et chère doctrine qui consola, soutint, releva tant d’âmes craintives, inquiètes, aimantes autant que faibles, consumées de désirs surhumains, mal à l’aise en cette vie où, toutes souillées, elles soupiraient après une pureté et une sainteté inaccessibles ! Pécher, toujours pécher, quel supplice ! « Oh ! mes péchés ! » écrivait Luther à Staupitz. Hier, elle s’était promis d’être forte, la pauvre âme pécheresse ; aujourd’hui elle retombe épuisée, vaincue par ce poids qui l’entraîne, — la chair. Quelle rougeur ! Est-ce colère ou honte ? Les deux peut-être. La stupeur qui suit la