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parler allemand avant tout. Que l’on compare l’édition des Psaumes de 1524 avec celle de 1531, on verra que la première se rapproche plus de l’hébreu, tandis que la seconde est plus conforme au génie de la langue allemande. « Il semble, dit Richard Simon, que Luther n’ait eu d’autre vue que de faire parler le Saint-Esprit bon allemand » » Eh ! n’est-ce donc rien ? répondrai-je à ce sévère censeur.

Luther continuait sa version au milieu des occupations les plus diverses et les plus absorbantes. Il lui fallait visiter les églises de Saxe, faire son cours, prêcher, écrire des livres, assister à des colloques de théologiens, recevoir dans sa maison, je veux dire dans son cloître, des gens de tout état et de toute condition, venus de tous les pays, que sais-je encore ? Il était malade de corps et d’esprit. Dans presque toutes les lettres écrites en 1529, on le voit préoccupé de la pensée que le monde va finir. Il croyait que le jour du jugement pourrait bien arriver avant qu’il eût achevé sa traduction de la sainte Écriture. Tous les signes des derniers jours qui y sont prédits lui semblaient accomplis ; le Christ allait venir enfin pour confondre Gog et Magog. Le Turc, le pape, l’empereur, les prodiges qui se manifestaient au ciel et sur la terre autour de lui, tout le confirmait dans sa croyance, entretenue d’ailleurs par la lecture assidue de Daniel et d’Ézéchiel. Avant ces deux prophètes, il avait publié la Sapience. En 1530, il fit paraître Daniel « pour la consolation de ses derniers jours ; » puis il se mit à traduire Jérémie et le reste des prophètes. En mai, il avait presque achevé. Il aborde Ezéchiel. Dans son ardeur, Luther avait résolu de donner en langue allemande tous les prophètes avant la Pentecôte ; mais cette fougue tombait bientôt. Les horribles douleurs de tête, qui ne devaient plus le quitter, commençaient à le torturer ; il avait le vertige, il tombait en syncope. Ce n’est pas seulement la souffrance, c’est aussi l’ennui qui le fait laisser, puis reprendre sa version d’Ezéchiel. Grave aveu, il l’écrit à Mélanchthon en lui mandant qu’il traduit entre temps les petits prophètes. Il ne reste plus que Haggée et Maleaki. Il ne travaille plus ; il n’a ni force ni volonté. Il lui faut accorder des « jours de sabbath » à sa tête. Ce repos lui est à charge ; il songe aux imprimeurs dont les presses attendent son œuvre. Les exemplaires de sa traduction des Psaumes étaient épuisés ; il se met à la revoir, surtout quant à la langue, et il en donne l’édition dont on a parlé. Il consacré deux heures par jour à corriger sa version des Prophètes. En octobre 1531, elle est enfin sous presse. Il faut maintenant composer une préface. « Chaque jour, écrit Luther à son fidèle Veit Dietrich, j’ai le vertige à en mourir. Satan m’accable de tourmens. » Il restait des mois entiers sans pouvoir ni lire ni écrire. Il se dégoûte tout à fait de sa grande œuvre. Il lui échappe des mots comme ceux-ci : « je m’occupe de