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été porté à la tradition lorsque, pour comprendre le sens de tel ou tel passage des livres saints, on avait eu plutôt recours aux simples règles de grammaire et d’histoire qu’aux décisions dogmatiques de l’église ; le contre-coup de ces études sur la théologie aurait pu être immense. Les savans exégètes catholiques avaient trop d’esprit pour vouloir réformer le monde ; leur haute culture littéraire les préservait de ces convictions ardentes et exclusives, souvent très respectables, mais qui ne vont guère sans quelque mauvais goût, ils n’étaient point comme Luther, des hommes de foi et d’action ; ces orthodoxes lettrés, ces prélats cicéroniens et philosophes, étaient incomparablement plus instruits et plus libres de tout préjugé ecclésiastique. C’est précisément cette largeur d’esprit et ces raffinemens d’instruction qui les empêchèrent toujours de réagir contre l’église romaine. Luther et les autres réformateurs ne s’y trompèrent pas. Tout en profitant des travaux des humanistes, ils ne les reconnurent jamais comme des précurseurs. La réforme religieuse n’eût peut-être pas finalement réussi sans la renaissance des lettres, mais, loin d’en être sortie, elle fut plutôt une réaction contre l’esprit général de la renaissance.


III

Le grand mouvement littéraire du XVe siècle, parti de l’Italie, se propagea très lentement dans le nord de l’Europe et particulièrement en Allemagne. La lutte acharnée des théologiens de Cologne contre un catholique aussi bien pensant que Reuchlin montre que l’étude du grec et de l’hébreu n’était pas alors sans danger. Heureusement on ne pensait pas dans les universités comme dans les cloîtres. Depuis la fin du XVe siècle, seize universités avaient été fondées en Allemagne ; dans toutes, à Erfurt comme à Heidelberg, à Bâle comme à Tubingen, à Leipzig comme à Wittenberg, on était jaloux de posséder des maîtres en renom que l’on s’efforçait de retenir à grands frais. Les professeurs de grec et d’hébreu étaient surtout fort rares ; la plupart de ceux qui se donnaient comme tels étaient de simples charlatans. Jusqu’en 1518, il n’y eut à l’université de Wittenberg aucun enseignement régulier de ces deux langues. Dans une lettre adressée à Spalatin le 18 mai 1518, Luther le prie de s’occuper de la création des chaires de grec et d’hébreu. Quelques jours après, il écrit à Staupitz avec l’enthousiasme naïf d’un écolier qui vient de prendre sa première leçon de grec : « J’ai appris, grâce à la bienveillance de quelques savans hommes qui très obligeamment nous enseignent le grec et l’hébreu, que le mot metanoia est composé de μετά et νοεϊν, c’est-à-dire de après et comprendre, etc. » Et le voilà qui se hâte de construire sur cette