Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/920

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en particulier la connaissance du texte hébreu de la Bible, Qui amena la réforme. Rien de plus faux. J’ai recherché les causes lointaines, fatales, plus vivantes encore aujourd’hui que jamais, de ce grand événement moral qui a été proprement la révolution germanique. Si j’avais à indiquer quelle fut la cause prochaine, immédiate, loin de parler des progrès de la raison humaine ou de l’audace d’une critique philosophique quelconque, je me bornerais à rappeler une certaine doctrine religieuse, celle de la justification par la foi seule en Jésus-Christ, formulée pour la première fois par saint Paul, enseignée par saint Augustin et par les plus grands théologiens du XVe siècle, par Gerson, Jean Huss, Wessel de Groningue. Ce que nous avons appelé la foi nouvelle était, on le voit, une bien vieille et bien vénérable chose. Cette croyance, revendiquée par les réformateurs et élevée par eux à la hauteur d’un principe absolu, n’était pas même une nouveauté. C’est pour établir ce dogme sur des fondemens inébranlables et assurer ainsi son triomphe qu’ils ouvrirent la Bible. La conviction de ces apôtres était toute formée quand ils appelèrent l’exégèse à leur aide. Jamais on n’insista tant sur l’examen des textes, et jamais examen ne fut moins libre. Sans doute l’examen était permis, mais le résultat de cet examen était toujours prescrit d’avance. Quant à une investigation, vraiment critique, objective, rationnelle, dans le sens moderne du mot, il ne pouvait en être question alors, pas plus en pratique qu’en théorie[1]. Cet appel à l’Écriture, très sincère en principe, fut de fait une pure illusion. Certes, quand l’interprétation exacte d’un texte était étroitement liée à l’intérêt dogmatique, l’exégèse devenait grammaticale et scientifique ; même en ce cas, elle ne cessait point d’être subordonnée à la théologie ; Bref, la vraie interprétation dépendait de la vraie foi.

Cela dit, il faut reconnaître que cette exégèse grammaticale, si restreint qu’en fût le rôle, aurait été impossible sans la renaissance des études philologiques. Cette révolution, faite au nom du goût et de la science, était presque achevée par la génération qui précéda le mouvement de la réforme. Depuis le milieu du XVe siècle, surtout en Italie et dans les contrées rhénanes, la connaissance du grec et l’étude des classiques n’étaient plus très rares. Le savoir philologique avait amené l’affranchissement véritable de l’interprétation de la Bible, comme nous le voyons par l’exemple du chanoine Laurent Valla et d’Érasme. Ces humanistes avaient appliqué aux textes de l’Écriture les méthodes qu’ils suivaient pour l’étude des grands écrivains de Rome et d’Athènes. Un coup décisif avait

  1. Ed. Remss, Die Geschiche der heiligen Schriften neuen Testaments (4 Ausg. Braunschweig 1864), p. 560-561.