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le travail de Luther les mêmes idées. Il traduit encore sur un texte latin, non sur l’hébreu. Parfois pourtant il ose s’écarter de la Vulgate. Il a recours alors aux versions de saint Jérôme et de Reuchlin. Luther a abandonné la théorie du sens multiple, il a gardé l’habitude des allégories. Ainsi les pierres de Sion (Ps. CII, 15) sont les élus de Dieu, etc. C’est d’ailleurs une œuvre d’édification que ce commentaire, bien que les remarques critiques et philologiques n’en soient point exclues. On y retrouve à chaque page la trace des idées mystiques qui possédaient alors toute l’âme du disciple de Staupitz. Il lisait, relisait les mystiques allemands, Tauler, Eckart, surtout cette « théologie allemande, » sorte limitation de Jésus-Christ, dont il se fit l’éditeur, et qu’il plaçait à côté de la Bible et de saint Augustin. Luther était plus que jamais l’ennemi implacable de la scolastique, de la raison, de la liberté et de la personnalité des mérites humains.

Les lettres qu’il écrivait en ces années décisives (1517, 1518, 1519) montrent très bien l’état de son âme. Il recommande à Spalatin les sermons en langue allemande de Tauler. Il ne connaît pas de théologie plus saine et plus conforme à l’Évangile. Dans une lettre à Staupitz, alors vicaire-général de l’ordre des augustins, il voit tous les ennemis que la doctrine des œuvres qu’il prêche va soulever contre lui ; mais n’a-t-on pas fait dire aussi à saint Paul : « Faisons le mal pour que le bien en sorte ! » Quant à lui, Luther, il suit la théologie de Tauler et celle de son cher petit livre, Die deutsche Theologia. Il enseigne que nous ne devons avoir confiance qu’en Jésus-Christ, non dans les prières, les pratiques et les œuvres. Il faut mourir à nous-mêmes pour laisser le Christ vivre en nous. L’homme uni à Dieu ne saurait pécher. « Je préfère aux docteurs scolastiques les mystiques et la Bible, » dit Luther. Cela ne fait point doute ; mais prenons garde que, pour Luther, le croyant, l’homme spirituel, peut seul saisir le sens de l’Écriture. Il exhalera bientôt contre les humanistes qui, comme Érasme, traitent la Bible en philologues, toute la haine qu’il déverse maintenant sur les scolastiques.

Tels étaient les principes exégétiques de Luther l’année même où il afficha ses fameuses thèses. À cette époque, il ne savait encore pour ainsi dire ni grec ni hébreu. On était cependant à la veille de la réforme ; à Augsbourg devant Cajetan, à Altenbourg devant Miltitz, à Leipzig devant le docteur Eck et toute l’université, à Worms enfin devant césar et tout l’empire, Luther allait en appeler à la Bible comme à l’autorité suprême et à la source unique de la vérité chrétienne. On répète tous les jours en France, tantôt que c’est le « libre examen, » tantôt la renaissance des études classiques, et