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et encore moins « cicéronien, » — aveu que la lecture de ses œuvres latines confirme pleinement, — on retrouve néanmoins à tous les momens de son développement, si je puis ainsi dire, l’action puissante de ses premières études profanes. Dans ses commentaires sur l’Écriture, il cite souvent les poètes, surtout les comiques latins. Il se plaint parfois de n’avoir pas le loisir de lire les poètes et les orateurs ! « Je m’étais acheté un Homère, dit-il, pour devenir Grec. » Il faut avouer cependant que, si Luther avait éprouvé dès sa jeunesse une grande passion pour le grec, il aurait pu apprendre cette langue à l’université d’Erfurt, où Marschall, le maître de Spalatin, l’enseignait. Il ne profita pas d’une occasion, alors bien rare, qui se présentait si naturellement, et il ne se mit à l’étude du grec que beaucoup plus tard.

Devenu maître ès-arts, Luther, suivant l’usage, fit des cours sur la Physique et sur l’Éthique d’Aristote. Chose étrange ! lui, qui devait tant aimer la théologie et la Bible, il n’allait alors qu’aux leçons des maîtres scolastiques, il ne suivait que des cours où Aristote, les pères et les sententiaires étaient étudiés et consultés comme des oracles, sans qu’on dit jamais un seul mot de la Bible. Que lui resta-t-il de ces études, d’ailleurs nullement approfondies, faites sur des textes traduits et avec des manuels d’école ? La réponse qu’on pourrait faire à cette question est assez complexe. La dialectique et la philosophie scolastique n’ont été pour lui, comme pour beaucoup de théologiens, qu’une gymnastique intellectuelle, un exercice violent des facultés logiques de l’entendement. Certes rien n’était plus propre à fausser irrémédiablement bon nombre de jeunes esprits qu’un tel exercice, surtout lorsqu’on le poussait trop loin, comme c’était le cas dans l’école. La plupart des intelligences sortaient de là fourbues. Luther évita l’excès ; il garda de ces luttes une singulière dextérité de raisonnement, une facilité extraordinaire d’élocution, et en un certain sens une puissance incomparable d’argumentation et de construction rationnelle.

Après quoi, il faut en convenir, Aristote est sa bête noire. Il n’est point de bizarre calembour dont il ne se soit servi pour désigner le Stagirite. Il l’appelle Naristote (narr, fou), Aristultus, etc. C’est un « imposteur, » un « polisson, » un « comédien qui, sous son masque grec, s’est trop longtemps moqué de l’église du Christ. » Sans pouvoir s’en rendre bien compte, car il n’a aucune idée de la science grecque, Luther sent bien que cet Aristote, si vénéré par les plus grands docteurs et les plus grands saints de l’église, est le plus implacable ennemi du Christ, hostis Christi. En général, Luther éprouve pour les sciences naturelles une aversion insurmontable. Il ne se doute naturellement ni peu ni beaucoup de la haute valeur de l’Histoire des animaux d’Aristote ; il est persuadé que l’étude de