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sa hutte au fond des forêts, le guerrier germain s’enivre de son indomptable indépendance et exalte les vertus de sa nation. Qu’on lise l’hymne à la louange des Francs qu’Otfried de Wissembourg, au IXe siècle, mit en tête de son Harmonie des Évangiles en dialecte haut-allemand, œuvre d’édification qui ne répond guère à ce début magnifique, mais qui resta pourtant dans la mémoire des hommes, et dont les réformateurs du XVIe siècle se sont souvenus : « Pourquoi, seuls entre tous, les Francs n’oseraient-ils chanter dans leur langue la gloire de Dieu ?… Ils sont aussi braves que les Romains, et personne ne dira que les Grecs valent mieux qu’eux. Ils sont aussi hardis soit dans les forêts, soit en rase campagne, prompts à prendre les armes, et tous soldats. Ils habitent la bonne terre qu’ils ont conquise, ils y déploient leur puissance ; aussi ils ne seront pas confondus… Leurs ennemis les trouvent toujours prêts à se défendre. À peine a-t-on osé les attaquer qu’ils ont vaincu. Nul peuple voisin de leurs frontières n’échappe à leurs coups qu’en les servant quand ils en ont besoin. Je sais que c’est Dieu qui le fait ainsi. Toutes les nations les redoutent, et les Francs leur ont enseigné la crainte, non par la parole, mais par le glaive et la pointe aiguë de leurs lances[1]… »

L’Italien surtout, cet être charmant, gracieux et vif, aux fines railleries, aux allures équivoques et légères, cet « épicurien » superstitieux qui se signe devant toutes les madones et souvent ne croit pas en Dieu, — cette créature orgueilleuse qui met tant de candeur dans le cynisme avec lequel elle regarde tous les peuples, les Germains surtout, comme des barbares, qui ment avec tant d’abandon et de naturel, qui trahit et se parjure avec une naïveté si touchante, qui dupe le genre humain, lui extorque son or, et fait couvrir magnifiquement le chœur des églises de Rome, tandis qu’il pleut sur les autels d’Allemagne, — l’Italien est pour tout bon Germain un être d’un autre monde, quelque peu venimeux, d’autant plus dangereux que sa parole et sa personne ont, comme le serpent d’Éden, plus de grâce perfide et de mortelle séduction. Sur ce point, les pamphlétaires du XVIe siècle, comme Ulrich de Hutten, n’en disent guère plus que les lieder des minnesinger du temps de Frédéric II et d’Innocent fil, comme Walter von der Vogelweide. Qu’on songe à la légende du Tannhäuser, où un pape rebute un pécheur pénitent, est cause qu’il retombe dans les bras impurs de Vénus, damne une âme ! Dans la Guerre de la Wartbourg, les invectives contre l’église, placées, il est vrai, dans la bouche du diable, la dénonciation des abus, de la simonie, de la vénalité des choses saintes, le besoin d’une réforme dont le poète se montre

  1. G. A. Heinrich, Histoire de la littérature allemande, t. Ier, p. 50-51 ; Paris 1870.