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famille, replié sur lui-même, entrevoyait dans ses rêves troubles un idéal moral aussi différent de celui que s’étaient formé les heureuses populations des bords de la Méditerranée que l’exigeait la diversité des climats et des races. La Grèce et l’Italie avaient créé la beauté, ou du moins une certaine forme du beau qui n’a jamais été réalisée avec une plus haute perfection. La Grèce et l’Italie, avaient découvert dans le monde une harmonie divine qu’elles s’étaient efforcées d’introduire dans les arts, dans la cité, dans l’éducation, dans la vie tout entière. L’existence, facile, joyeuse, élégante, était une fête éternelle ; d’ailleurs nulle vague rêverie, aucun sentiment de l’infini, aucun malaise devant l’immense et obscur au-delà. Cette rêverie, cette terreur sacrée, ce tremblement en présence de l’inconnu, sont au contraire ce qui distingue particulièrement l’homme du nord, le Scandinave comme le Saxon, le cette comme le Germain. Là est le secret de cette poésie tout intime, de ce cri inénarrable du cœur, de ces élans de l’âme vers l’invisible qu’il appelle sa religion.

Ces races dures, chastes et fortes, ont un spiritualisme religieux tellement raffiné que Tacite et les Latins en ont été frappés. « Emprisonner les dieux dans des murs, ou les représenter sous une forme humaine, leur paraît indigne de la grandeur céleste. Ils consacrent des bois et des forêts, et, sous les noms de divinités, leur respect adore dans ces mystérieuses solitudes ce que leurs yeux ne voient pas. » — Ce n’est point là une phrase vide, dit Jacob Grimm, qui cite ce passage célèbre de la Germanie. En effet, il n’est point de race dont l’idéal religieux soit plus vague et flotte avec plus de mollesse. On dirait une nuée que le vent de la nuit chasse parmi les étoiles et déforme à chaque instant. A quoi bon découvrir au compagnon de route, au prochain, au croyant notre frère, ce qui se passe en nous au plus profond de l’âme ? La parole, le mot, le signe sensible écraserait lourdement cette chose ailée en la voulant fixer. Le charme s’évanouirait. On serait peut-être d’une confession, d’une église, d’un culte ; on cesserait d’adorer en esprit et en vérité. Et voilà justement ce qu’est la religion, voilà du moins comme les plus belles âmes l’ont toujours comprise. Individualisme religieux, piété sincère, indépendance jalouse et irritable dans les choses de la conscience, unie à une singulière énergie de conviction intérieure, enfin croyance inébranlable que la vie est chose sérieuse, que le devoir est une réalité mille fois plus réelle que cet univers, que les vérités de l’ordre moral dominent le monde, et que, dès qu’on y touche, l’insurrection devient légitime et sainte, — telles sont les qualités dominantes, les traits saillans du caractère propre de ces races considérées sous le double aspect moral et religieux.