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d’investigation on doit soumettre ces difficiles problèmes que l’on croyait résoudre, dans l’ancienne école, avec des argumens purement logiques ou quelques lieux-communs éloquens. Il nous révélait le secret de cette méthode exacte, précise, sévère, scientifique, vraiment expérimentale, d’apparence très humble, en réalité d’infinie portée, qui a changé toutes les idées reçues sur l’esprit humain, créé la science des religions et des littératures comparées, et transformé l’histoire en un problème de mécanique psychologique.

Les sciences historiques démontrent que les considérations de race, de climat, de temps et de milieu peuvent seules rendre raison de l’idéal moral et religieux des diverses familles humaines. Qu’il s’agisse des peuples sémitiques ou des peuples aryens, les mêmes règles de critique, appliquées à des cas différens, bien que de même nature, ont toujours donné des résultats identiques. Comme toutes les autres sciences, l’histoire a dégagé de la masse des faits qu’elle étudie un petit nombre de lois, sortes de vérités abstraites résumant d’innombrables observations, qu’il faut avoir présentes à l’esprit quand on considère tel ou tel ordre de phénomènes historiques. Soit par exemple la réforme luthérienne. Au premier abord, point de fait plus complexe. Que n’ont pas dit et écrit sur ce thème les générations d’historiens ecclésiastiques et politiques qui se sont succédé depuis trois siècles ! Je ne voudrais, pour rien au monde, paraître manquer au respect et à la profonde gratitude qu’on doit à ces admirables savans du XVIe et du XVIIe siècle. Ils ont rendu notre tâche plus facile en rassemblant tous les documens principaux d’une époque qu’ils ont d’ailleurs souvent fort bien comprise et jugée avec l’intuition du génie ; mais enfin on reconnaîtra qu’ils se sont rarement élevés à une étude des faits purement objective. Sans parler des préjugés d’une éducation exclusivement chrétienne, ils étaient dominés par des préoccupations dogmatiques, fort respectables sans doute, mais étrangères à la science. Ils n’ont jamais cru que les productions de l’esprit humain étaient assujetties, comme les autres productions de la nature, à des lois nécessaires et universelles, et qu’un jour viendrait où l’on étudierait une conception religieuse avec la même curiosité sympathique, mais profondément désintéressée, qu’on apporte à l’étude de la faune ou de la flore de l’époque silurienne ou dévonienne.

Un invincible besoin d’indépendance spirituelle, voilà la faculté maîtresse dont le développement extraordinaire caractérise très bien ce qu’on appelle les races germaniques. Les ancêtres de ces peuples vivaient solitaires, isolés, chaque chef de famille choisissant chaque année le lieu qu’il voulait habiter. Là, seul avec les siens, blottis et entassés dans de véritables tanières où l’on passait les longs mois d’hiver et où l’on enfouissait la provision de grains, le chef de