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militaires ne peut être acceptée comme absolument exacte. Les voies ferrées ne sont pas seulement des instrumens de guerre, on peut même dire qu’elles n’ont ce caractère que très exceptionnellement ; elles sont surtout et avant tout des instrumens industriels, productifs de revenus, et elles rentrent sous ce rapport dans la catégorie des propriétés privées. Si le principe contraire était admis, on verrait, dans les guerres futures, les belligérans s’acharner contre tous les établissemens de chemins de fer, y porter la destruction plus encore que ne l’ont fait les Allemands, et les traiter comme des forteresses qu’on rase, des fusils qu’on brise et des canons qu’on encloue. Non, il n’y a aucun intérêt à proclamer une telle doctrine. Il est préférable de laisser aux chemins de fer le caractère mixte qui leur appartient réellement, et dans lequel prédomine le caractère de propriété privée, — appartenant à des capitaux inoffensifs. Les belligérans reculeront, ne serait-ce que par respect humain, devant des dévastations gratuites que flétrirait le sentiment général. Si l’on établissait un code international de la guerre, ce qui serait malheureusement fort utile (car Vattel est devenu bien vieux), il est probable que la question des chemins de fer y recevrait cette solution plus conforme aux idées de civilisation, d’équité, d’intérêt public, qui sont plus fortes même que la force. Il convient donc de distinguer, et les débats qui ont eu lieu récemment à l’assemblée nationale au sujet des indemnités réclamées par les départemens envahis fournissent les élémens de cette distinction.

S’agit-il d’ouvrages détruits par ordre des autorités civiles ou militaires françaises afin de faciliter la défense ou de protéger une retraite, ou bien d’un matériel perdu ou détérioré pendant qu’il était au service de l’armée, l’indemnité est due incontestablement, l’indemnité intégrale : le dommage peut être assimilé à une expropriation pour cause d’utilité nationale et militaire. L’indemnité nous paraît due également pour les pertes causées par l’insurrection de la commune, soit qu’elle demeure à la charge de la ville de Paris selon le droit, soit qu’elle incombe au gouvernement selon la jurisprudence ; mais, pour les dégâts infligés par les armées allemandes pendant le cours de la guerre, la décision équitable adoptée par l’assemblée nationale, décision qui accorde des indemnités partielles, paraît devoir être appliquée aux compagnies de chemins de fer comme aux autres propriétés également atteintes. Une exception en faveur des compagnies ne se justifierait pas, et serait mal accueillie. Les compagnies obtiendraient d’ailleurs la faculté d’alléger le poids de cette dépense en le répartissant sur plusieurs exercices, et même en portant la somme des réparations au compte de premier établissement. Il n’y a point là de difficulté sérieuse qui puisse