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utile de faire et quand chacun saura ce qu’il doit faire, on ne sera plus exposé à ces erreurs coûteuses, et l’on ne détruira que là où l’intérêt suprême de la défense le commanderait impérieusement.

Voilà pourtant à quoi nous condamne la guerre ! L’étude pratique à laquelle nous nous livrons ici ne comporte pas de réflexions philosophiques ; mais comment se peut-il que l’on en soit réduit à poser froidement ce problème de la destruction savante ? La génération qui nous a précédés a établi un grand réseau de voies ferrées ; elle y a accumulé les travaux d’art qui franchissent les larges fleuves, suppriment l’abrupte profondeur des vallées, perforent les montagnes, et relèvent à l’honneur du génie humain les plus effrayans défis de la nature. Tant de millions, tant de science, tant de travail ont été dépensés, et tout cela peut être détruit ; bien plus, de par la guerre tout cela semble condamné à être détruit par nos propres mains. Il faut que nous apprenions à renverser avec art ce qui fut édifié au prix de tant de labeur, et que nous organisions les manœuvres les plus efficaces pour créer des décombres. Ainsi le veut la guerre, cet ingénieur de la ruine. Résignons-nous et prenons le parti le plus sage en fixant les règles et en disciplinant les agens de cette singulière opération stratégique.

L’emploi des chemins de fer à la guerre, soit pour activer le rassemblement des troupes, soit pour exécuter les opérations militaires, n’est pas une question nouvelle. Nous avons cité comme exemple le transport de l’armée française en Italie (1859). Pendant la guerre de la sécession aux États-Unis, les généraux Mac-Clellan et Sherman tirèrent le plus grand parti des voies ferrées. En 1866, la Prusse et l’Autriche en firent habilement usage pendant le duel rapide qui se termina à Sadowa. Depuis plusieurs années, le service spécial des chemins de fer est réglementé en vue de la guerre dans la plupart des états allemands ; en Prusse, une compagnie de pionniers des chemins de fer est attachée à chaque corps d’armée. Il y a pour les officiers et pour les agens des voies ferrées un code d’instructions très détaillées qui prévoient toutes les manœuvres confiées à l’autorité exclusive des chefs militaires. En France, le ministère de la guerre n’a point méconnu l’importance de la question, qui a fait l’objet d’une des conférences régimentaires tenues en 1869 ; mais, ainsi que l’a déclaré le rapporteur de cette conférence, M. le capitaine du génie Prévost, il n’existe aucune prescription officielle, et il faut recourir aux indications tirées des documens étrangers[1]. Évidemment l’infériorité que nous avons montrée sous

  1. On peut consulter les ouvrages ci-après : les Chemins de fer au point de vue militaire, traduit de l’allemand par M. Costa de Serda, capitaine d’état-major, 1868 ; — Conférence sur l’Emploi des chemins de fer à la guerre, par M. Prévost, capitaine du génie, 1869 ; — des Chemins de fer en temps de guerre, conférence par M. de Formanoir, capitaine de l’état-major de Belgique, 1870 ; — Aide-mémoire de campagne pour l’emploi des chemins de fer en temps de guerre, par M. Michel Body, ingénieur, 1870.