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l’erreur. Dans la nature, il existe toujours pour l’ensemble une harmonie dont l’esprit humain n’a pas découvert le secret. Bien inspirés, — qu’on n’en doute point, — les maîtres de l’art se sont faits de patiens observateurs, et, bientôt éclairés par des comparaisons attentives, ils ont su reconnaître la beauté pure, distinguer les expressions du visage les plus agréables ou les plus touchantes, les attitudes du corps les plus heureuses, et, disons mieux, les plus naturelles. Quand on admire les vierges de Raphaël loin du pays où le maître a rencontré des modèles, on se plaît à croire que l’inspiration a tout fait ; on se trompe. Un ami de l’art et de la nature, homme d’un esprit rare, parcourant les campagnes de Rome, s’était trouvé plusieurs fois saisi, nous racontait-il, à la vue d’une jeune mère qui lui apparaissait comme l’image souvent contemplée dans les galeries de Paris ou de Florence, et devenue vivante. « Un moment, ajoutait-il, le Sanzio me sembla perdre un peu du caractère presque divin qu’on lui attribue ; mais en y réfléchissant, j’estimai davantage encore, s’il est possible, le peintre qui possédait le talent de l’observation élevé à un degré suprême. » Lorsque nous voyons les statues de l’art antique, une première impression peut-être fait éclore la pensée d’une beauté sans égale dans la nature ; néanmoins, avec un peu d’attention, il serait aisé de s’apercevoir que l’artiste a simplement réuni des beautés éparses, si déjà nous ne savions que divers modèles étaient employés pour l’exécution d’une œuvre. Le travail de recherche minutieuse et de comparaison attentive se découvre en reconnaissant avec quelle fidélité sont reproduites de légères saillies des muscles ou des veines, presque imperceptibles à la vue et sensibles au toucher : c’est le raffinement de l’observation qui a valu les chefs-d’œuvre de la Grèce. Les peintres de la renaissance, se faisant géomètres et anatomistes, ont prouvé combien l’éducation scientifique est pour l’art un guide précieux. En réalité, nul n’est un grand artiste sans être un observateur exact, pénétrant et consciencieux.

Le principe que nous défendons est maintenant formulé à toute occasion en Angleterre. Dans des conférences très suivies par le public, qui ont lieu chaque semaine à l’Institution royale de Londres, se succèdent les appels en faveur de l’avancement des sciences et d’une instruction scientifique commune. Il y a quelques mois, M. W. Mathew Williams, retraçant la vie et les mérites d’un personnage remarquable comme savant, comme homme d’état, comme philanthrope, Benjamin Thompson, comte de Rumford, s’écriait : « Tous ses succès sont dus aux principes de raisonnement par induction qui ont conduit aux merveilleux triomphes de la science moderne, » et il terminait en jetant à l’auditoire ce conseil : Il Si vous voulez faire de votre fils un soldat heureux, un habile