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n’est pas seulement dans les vastes ateliers de production qu’un chef tire d’inappréciables avantages d’un penchant à l’observation et à l’expérience ; dans la plus humble industrie, l’aptitude à la recherche conduit aussi à l’adoption des meilleurs procédés d’exécution et quelquefois à une invention heureuse. L’ouvrier lui-même, s’il est enclin à comparer, imagine des moyens ou d’accélérer ou de perfectionner le travail. Enfin tout indique la nécessité de faire naître et de développer par l’éducation une tendance d’esprit qui aujourd’hui ne se manifeste que d’une façon presque accidentelle et simplement par suite d’un don naturel. Cette nécessité apparaît dans toute sa force quand on rêve le progrès de l’agriculture, car ici les innovations reçoivent beaucoup moins d’accueil que dans l’industrie, et d’ordinaire elles sont réprouvées sans le moindre examen. A l’exception de quelques grands propriétaires vraiment instruits, les agriculteurs ne comprennent pas la possibilité d’une amélioration ; ils agissent comme agissaient les aïeux, et avec cette pensée ils se trouvent satisfaits : l’idée de l’expérience ne leur a jamais été suggérée lorsqu’ils étaient en âge d’apprendre. Les hommes des champs exercent une action sur la nature ; selon qu’ils se comportent avec plus ou moins de discernement, ils peuvent enrichir ou appauvrir une contrée, et à cet égard on les abandonne à l’ignorance absolue. De justes plaintes retentissent contre la destruction des oiseaux et des autres animaux utiles, contre la multiplication des bêtes nuisibles ; personne ne songe que le mal diminuera le jour où les enfans du village apprendront à l’école à connaître les amis et les ennemis, à aimer les uns et à détester les autres.

Les avantages de la méthode scientifique, reconnus pour la conduite des affaires publiques ou privées, ne sont pas moins faciles à apercevoir dans le domaine de l’art. En présence des œuvres les plus accomplies de la statuaire ou de la peinture, on nous parle sans cesse d’idéal ; on semble entendre que les artistes ont puisé hors de la nature le sentiment des beautés parfaites qu’ils ont eu le mérite de fixer, et que, s’étant élevés à une puissance supérieure de conception, ils sont devenus de véritables créateurs. Pure illusion ! les hommes les mieux doués ne possèdent pas la faculté d’inventer une forme ou une physionomie. La preuve éclate dans les tentatives qui ont été faites à toutes les époques de l’histoire. En chaque pays et en chaque temps, on a représenté des êtres imaginaires ; jamais l’imagination n’a produit autre chose que des monstruosités, surtout des combinaisons disparates. En voyant la variété infinie des formes végétales et animales, qui à nos yeux sont belles, laides ou étranges, il semble au premier abord qu’il y aura peu de difficultés à façonner une forme nouvelle ; mais l’expérience atteste