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c’est l’esprit d’investigation toujours en activité. Les capitaines dont les grands exploits ont émerveillé le monde étaient, par un don naturel et par l’étude, d’admirables observateurs.

C’est aussi le talent d’observation qui crée le politique sagace dans les affaires, prévoyant de l’avenir, habile à distinguer les hommes, prompt à voir les ruses et les faiblesses, comme à discerner le caractère des ambitions. C’est encore ce même talent qui est particulièrement enviable pour ceux qu’on appelle à rendre la justice. En suivant certains débats judiciaires, on découvre aisément qu’un peu de pratique scientifique ne nuirait en aucune façon aux magistrats. Voici un procès criminel : une analyse délicate est nécessaire, une recherche qui réclame un grand savoir et une extrême pénétration est indispensable, et souvent des magistrats croiront pouvoir se contenter des lumières d’un médecin ou d’un pharmacien n’ayant jamais eu d’autre souci que l’exercice de sa profession. Un procès civil est engagé, il s’agit d’une propriété industrielle qui tire son origine d’une découverte scientifique : on appelle des experts ; mais les juges, étrangers à la question en litige, éprouvent quelque peine à se former une idée nette de la valeur des avis ou de la portée des démonstrations faites en leur présence, et le jugement rendu est simplement la décision d’un expert. Parfois on aimerait qu’aux oreilles des juges vinssent tinter ces paroles du chancelier d’Aguesseau : « nous avons dit aux magistrats, en parlant de la science : instruisez-vous, ministres de la justice[1]… »

Supposons-nous maintenant des administrateurs ayant reçu le bienfait d’une éducation pratique ? Pénétrés de cette vérité que dans la nature tout semble mis en œuvre pour obtenir les plus beaux résultats imaginables à l’aide de moyens aussi simples que possible, ils se trouveront entraînés, dans la poursuite et dans l’expédition des affaires, à éviter les embarras et les complications inutiles. Pour les industriels et les agriculteurs, tout le monde admettra sans peine que des connaissances scientifiques peuvent être de quelque prix. Cependant on se trompera souvent encore en pensant que des écoles spéciales satisfont à tous les besoins. On ne répare jamais sans un effrayant labeur, sans une prodigieuse volonté et sans un bon sens peu ordinaire, le désastre d’une éducation qui a été vicieuse à son début. Si la première direction donnée à l’esprit n’a pas ouvert la voie à tous les genres d’occupation, l’accès des entreprises particulières reste longtemps pénible. D’ailleurs il n’est pas permis de supposer un instant que les écoles spéciales puissent être fréquentées par le grand nombre, et personne ne doit être privé d’un bienfait qu’il est facile de répandre d’une manière générale. Ce

  1. 13e et 14e mercuriales. — La Science du magistrat et l’Attention, 1709 et 1711.