Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/840

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se prononce, le besoin d’examen s’empare de l’esprit. L’expérience qu’on voudrait tenter serait décisive. Qu’on attire dans des promenades l’attention des écoliers sur les plantes si variées qui croissent dans les bois et dans les campagnes, ou qui sont cultivées dans les parcs et dans les jardins, sur les créatures si nombreuses qui s’agitent autour de nous, et l’on reconnaîtra promptement le bienfait d’une éducation dirigée en vue des intérêts de la société et d’après les aptitudes de l’enfance. Les élèves, les plus jeunes comme les plus âgés, ne s’ennuieront point à un travail où l’activité de l’intelligence s’exerce sans que le corps souffre d’une immobilité désolante. Attentifs parce qu’ils comprendront sans beaucoup d’efforts, ils suivront avec un plaisir inouï la démonstration des caractères qui distinguent les diverses sortes de plantes et d’animaux, comme les explications sur le rôle de ces êtres dans la nature et sur les ressources que fournissent les espèces les plus précieuses pour la satisfaction de nos besoins. En s’accoutumant à déterminer les ressemblances et les différences que présentent entre elles des espèces végétales et animales, les jeunes gens sentiront bientôt le prix de la classification et les avantages de la méthode. Ils apprécieront l’utilité des comparaisons, qui seules font naître des idées nettes et précises. Ayant mille fois l’occasion de s’apercevoir que l’erreur est inévitable lorsque l’attention a été trop peu soutenue et l’examen incomplet, ils mettront tout naturellement en pratique la recommandation de Descartes, « d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention, » et de ne se fier qu’à l’évidence. Ils apprendront à craindre le danger d’une généralisation lorsque tous les faits particuliers n’ont pas été soumis au contrôle de l’observation et de l’expérience. ; Ne serait-il point à souhaiter que nous fussions en général plus accessibles à une pareille crainte ? Au reste, quel esprit clairvoyant doutera de l’influence heureuse d’une instruction scientifique acquise par des exercices pratiques pendant la première jeunesse, alors que les impressions un peu fortement ressenties sont durables et réagissent sur la conduite de la vie tout entière ? Il y a plus d’un demi-siècle, un jeune professeur que ses talens ont élevé depuis aux plus hautes positions, M. Guizot, écrivait : « Puisque la science est devenue une véritable force, elle est indispensable à tous ceux que leur situation oblige ou appelle à exercer quelque influence sur les autres hommes, sous peine de tomber à un rang inférieur[1]. » Si cet avis avait été écouté, il ne ressemblerait pas aujourd’hui à une prophétie.

  1. Essai sur l’histoire et sur l’état actuel de l’instruction publique en France ; Paris, 1816.