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individus qui semblent aptes à le posséder, et à en faire sentir les effets à ceux que la nature a moins favorisés ? Une idée absolument fausse, il est vrai, est encore très répandue au sujet de l’observation ; on s’imagine trop volontiers que, pour observer, il suffit de regarder. Nous en voyons sans cesse de curieux exemples. Ainsi un homme a voyagé, il parle de ce qu’il a vu, et tout est inexact dans ses récits ; on cherche à le convaincre de ses erreurs, il se fâche, il a une certitude, parce qu’il a vu et qu’il se croit intelligent. En réalité, cet homme n’avait ni la puissance d’attention, ni l’habitude d’investigation, ni la sûreté d’appréciation qui font l’observateur. Dès les premières années, les enfans qui ont l’esprit éveillé se prêtent admirablement à recevoir l’instruction la plus favorable au développement des facultés intellectuelles et la mieux appropriée aux besoins de la vie. Ils ont cette inextinguible curiosité pleine de charme que Locke recommande d’encourager : ils veulent tout voir, tout examiner ; ils ne se lassent pas d’interroger, de réclamer des explications, et ils se montrent heureux lorsqu’on peut les satisfaire. Un mécanisme les intrigue, et, pressés du désir de connaître par quelle cause fonctionne l’objet qui les amuse, ils le brisent. Des faits de ce genre, manifestes à tous les yeux, devraient avoir montré la marche à suivre au moins dans une partie considérable de l’enseignement, et il semble qu’on ait toujours pris la résolution d’agir contre la nature. Pourtant, il y a un siècle et demi, lorsque les sciences physiques et naturelles étaient encore bien peu avancées, un homme qui connaissait les aptitudes de l’enfance avait compris les avantages d’une instruction scientifique ; c’était un recteur de l’université de Paris, le judicieux Rollin. Il veut « rendre les enfans attentifs aux objets que la nature nous présente, à les considérer avec soin, à en admirer les différentes beautés, car les enfans, ajoute-t-il, veulent savoir, ils-interrogent. Il ne faut que réveiller et entretenir en eux le désir d’apprendre et de connaître, qui est naturel à tous les hommes. Cette étude, loin d’être pénible et ennuyeuse, n’offre que du plaisir et de l’agrément ; elle peut tenir lieu de récréation, et ne doit ordinairement se faire qu’en se jouant. » Il y a plus de deux mille ans, un des beaux génies dont s’honore l’humanité avait montré qu’il est agréable et avantageux d’écouter des leçons en se promenant. « Il est inconcevable, dit encore Rollin, combien les enfans pourraient apprendre de choses, si l’on savait profiter de toutes les occasions qu’eux-mêmes nous fournissent. » Joignant les exemples aux préceptes, le vieux recteur de l’université de Paris parlera du blé dont on fabrique le pain, du chanvre qui sert à confectionner le linge, de la laine, du papier provenant des chiffons qu’on ramasse dans les rues, et il demandera « pourquoi on n’instruirait pas les enfans de ces