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l’enseignement que l’indifférence pour les études les plus favorables à la marche de l’esprit et à la prospérité des nations. L’investigation scientifique a déjà procuré tant de bienfaits, que chacun, semble-t-il, devrait comprendre que toute recherche profonde donnera des fruits dans un temps plus ou moins rapproché. Cependant la société française se comporte comme si elle n’attendait pas de lendemain. La civilisation actuelle tire son principal lustre du magnifique développement des sciences, et on l’oublie. Dans l’antiquité, il y avait des guerriers, des poètes, des orateurs, des historiens, des philosophes, des artistes, dont les talens n’ont pas été surpassés ; mais il n’y avait ni physiciens ni chimistes, et l’histoire naturelle bégayait. Au XVIe et au XVIIe siècle, la voie de l’observation et de l’expérience a été tracée ; les découvertes ont été accueillies avec enthousiasme, et l’esprit du monde a été renouvelé. Néanmoins c’est le XIXe siècle qui a vu les grandes merveilles. Les changemens prodigieux qui se sont effectués sur la terre à travers les âges ont été en partie révélés ; de vives lumières ont été répandues sur les phénomènes de la vie et sur les conditions d’existence des êtres. Des méthodes incomparables qui s’appliquent avec avantage à tous les genres d’études ont été créées. Les travaux des mécaniciens, des chimistes, des physiciens, ont été l’origine de nouvelles industries où d’immenses intérêts sont engagés. Aujourd’hui, sans rien attendre du hasard, nous pouvons déterminer la direction qu’il convient d’imprimer aux recherches pour étendre nos conquêtes. Nous pouvons juger les notions encore incomplètes et prévoir certains résultats d’une longue étude. Suivant l’heureuse expression de Pascal, « c’est l’ignorance qui se connaît, » la condition la plus enviable, parce qu’elle fait la sagesse des hommes. Dans une telle situation, est-il concevable que les sciences n’occupent qu’une place insignifiante dans l’instruction générale ?

Chacun étant uniquement préoccupé ou de ses plaisirs ou de ses projets ambitieux et ne souhaitant que la richesse, tout souci des conquêtes de l’intelligence a disparu dans la société française. Avec une superbe assurance, des personnages qui n’hésitent pas à se mettre au nombre des plus capables déclarent que la science spéculative n’est pas nécessaire, et qu’on peut s’en tenir aux applications. Dans un écrit récent, M. Pasteur rapporte « qu’on se plaignait en présence d’un ministre de l’abandon des carrières scientifiques par des hommes qui auraient pu les parcourir avec distinction ; l’homme d’état essaya de montrer qu’il ne fallait pas en être surpris, qu’aujourd’hui le règne des sciences théoriques cédait la place à celui des sciences appliquées. » On demeure confondu en voyant formuler de telles idées. Inutile toute connaissance, si belle qu’elle puisse être pour la raison ; inutile le savoir, s’il ne procure pas tout