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Le sentiment patriotique de nos voisins trouve l’occasion de se manifester d’une manière qui n’est jamais imitée en France. De vastes ouvrages, accompagnés de planches d’une exécution dispendieuse, se publient assez facilement en Angleterre, où de riches particuliers s’empressent de souscrire avec la seule pensée que la production d’une belle œuvre est un honneur pour la Grande-Bretagne. Une préoccupation du même genre règne parmi les citoyens des États-Unis. Un jour, l’illustre professeur du musée de Cambridge, M. L. Agassiz, causait notre surprise en nous citant le nombre des souscripteurs à l’Histoire naturelle de l’Amérique du Nord[1] ; une somme considérable mise entre les mains de l’auteur permettait de ne rien négliger pour rendre la publication magnifique[2]. En France, l’ouvrage le plus recommandable par les faits qu’il met en lumière, comme par toutes les délicatesses d’un art raffiné, est l’objet d’une complète indifférence ; le ministère chargé de distribuer les encouragemens traite avec une parfaite égalité l’œuvre exceptionnelle et les écrits médiocres ou insignifians. Une comparaison qui porterait sur les livres élémentaires ferait encore ressortir une différence malheureuse pour la France. A l’étranger, de petits volumes où les faits les plus curieux de la science sont très passablement exposés dans une forme concise répandent l’instruction dans toutes les classes. En Angleterre, des hommes distingués donnent assez volontiers leurs soins à des publications populaires sur les sciences, sur la géographie, sur les voyages, qui sont recherchées dans la plupart des familles. Dans notre pays, où d’affreuses compilations ne sont pas reçues avec moins de faveur que de bons livres, les savans tentent rarement d’instruire les gens du monde. La composition d’un ouvrage élémentaire donne beaucoup de peine, exige des qualités que peu de personnes sont capables de discerner ; une connaissance très complète de toutes les parties du sujet est indispensable, car il faut juger sainement de la valeur relative des faits ou des assertions et bien choisir les exemples. Il faut aussi qu’une vue de l’ensemble des détails permette à l’auteur de formuler des généralisations sans jamais s’écarter de la vérité ; il faut encore une habileté particulière pour saisir les conséquences auxquelles conduisent mille observations détachées. Les livres de ceux qui s’intitulent des vulgarisateurs ne répondent nullement à de telles exigences. Rien n’atteste mieux la fâcheuse direction donnée à

  1. Contributions to the Natural History of the United States of North-America, 4 volumes grand in-4o.
  2. Les souscriptions prises à l’avance pour un volume donnaient la somme de 120,000 francs.