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plus modestes économies ; dépêchez-vous, dépêchez-vous ! » Les soldats conservaient leur placidité habituelle, les officiers souriaient d’un air narquois ; il était évident que ces hommes, si la ville ne s’était point libérée à l’heure dite, se seraient acquittés sans le moindre remords de la triste tâche qu’on leur aurait confiée. Ce serait une erreur en effet de croire que les officiers allemands éprouvassent quelque répugnance à prêter leur concours aux exactions des administrateurs allemands, ou que cette rapacité dût être uniquement attribuée à la Prusse, dont on connaît depuis longtemps l’âpre et impitoyable génie. L’unité de l’Allemagne est faite, et tous les Allemands se valent aujourd’hui. Entre les soldats des diverses nationalités, il se peut qu’on trouve des différences : on est d’accord par exemple pour préférer aux Prussiens les Saxons, et il est certain que les hommes de ces deux tribus se détestent cordialement ; mais entre les chefs l’entente est complète. A l’heure qu’il est, une grande caste est formée en Allemagne, qui passe par-dessus les frontières des petits états, et dont les membres ont les mêmes espérances et les mêmes passions : c’est la caste des officiers de l’empire germanique. M. de Bismarck mènera ces hommes où il voudra, à moins qu’il ne soit mené par eux plus loin qu’il ne voudrait aller, car au glorieux festin qui vient d’être servi aux hobereaux germaniques, les derniers venus, les vaincus de 1866, ne sont pas les moins avides : ils entrent seulement en appétit. Nous en avons entendu déclarer qu’il faut à l’humanité une guerre tous les cinq ans, et parler comme d’un événement assuré d’une guerre contre la Russie ; elle est, disent-ils, toute prête dans les cartons de M. de Moltke. En attendant, ils sont, corps et âme, dévoués à la Prusse ; ils s’appliquent à se rendre en tout semblables à elle, sa politique est la leur, ses crimes leur sont communs ; ils désirent comme elle la destruction de la France, et partout où ils ont été employés à l’œuvre, comme préfets ou comme généraux, ils n’ont pas plaint la peine.

Le jour viendra sans doute où l’Allemagne comprendra les dangers qui peuvent naître pour elle de l’existence de cette caste ; mais ce jour n’est pas venu. Les événemens que nous avons traversés sont de nature à réjouir tout véritable Allemand, et l’on sait le rôle qu’ont joué dans cette guerre les lettrés et les fameux penseurs d’outre-Rhin. Pendant l’occupation prussienne, il nous a été donné d’étudier à notre aise un personnage de cette sorte, un docte journaliste apporté par l’invasion, et qui, plusieurs mois durant, écrivit tant et si bien que la collection de son journal est un des plus curieux documens historiques que l’on puisse consulter ; nous voulons parler du chevalier Wolheim da Fonséca, docteur ès-lettres, agrégé