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ses volontés et toujours révocable. C’est le régime de la convention, c’est l’anarchie passée à l’état d’institution. On dira que nous vivons ainsi depuis six mois ; cela est vrai : nous assistons à un miracle d’équilibre ; mais les miracles sont des exceptions, et généralement ils durent peu. L’accord des volontés fait autant d’honneur à la modération de l’assemblée qu’à la prudence du président ; mais est-ce là une garantie suffisante pour un peuple qui a besoin de compter sur un lendemain ? N’est-ce pas un accident heureux, un instant de calme entre deux orages ? Pour installer un gouvernement durable, il ne suffit ni de l’esprit politique d’un homme, ni du patriotisme d’une assemblée ; il faut une constitution, c’est-à-dire une loi suprême qui limite les deux grands pouvoirs de l’état et les maintienne l’un par l’autre dans le respect du peuple et de sa souveraineté.

Pour rédiger cette constitution équitable qui rendrait à la France la sécurité et l’espoir, je crois que l’assemblée actuelle vaut mieux qu’une assemblée nommée dans un an ou deux, quand le pays sera fatigué du provisoire et peut-être de la république. Cependant j’avoue sincèrement que j’aurais plus de confiance dans l’avenir, si on faisait élire par le pays, je dis non pas une convention (le mot ferait peur), mais un comité chargé de rédiger un projet de constitution, tandis que tous les pouvoirs resteraient en place et que l’assemblée continuerait de gouverner. Serait-il donc difficile de choisir parmi nos politiques et nos publicistes les plus estimés un petit nombre d’hommes qui, sans intérêt personnel et sans arrière-pensée, oublieraient les passions qui nous divisent pour ne songer qu’à l’intérêt de la France, pour nous préparer une constitution sage et durable ? L’œuvre n’est pas au-dessus des forces humaines ; les principes de la liberté constitutionnelle sont connus en tout pays. Ce qui empêche de les appliquer, ce n’est pas le préjugé, c’est la passion. Une assemblée de 700 députés, divisés d’opinions, d’intérêts, d’espérances, agitera le pays pendant plus d’une année par ses discussions violentes et n’aboutira qu’à une œuvre informe. Avec de l’honnêteté, du bon vouloir et un peu de patriotisme, un comité de 50 personnes rédigera en moins d’un mois une charte républicaine qui vaudra celle des États-Unis. Est-ce trop présumer de la France que de chercher chez elle un Madison, un Hamilton, un Franklin ?

Mais que l’assemblée ou qu’un comité rédige la constitution, je ne puis admettre que cet acte soit viable, s’il n’est pas soumis à la sanction du pays. Dans une république, c’est-à-dire dans un gouvernement qui repose sur la souveraineté du peuple, la ratification de la charte nationale est une de ces lois fondamentales que