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J’ai dit plus haut qu’en certains états, quand il ne s’agissait que de corriger quelques dispositions d’une constitution depuis longtemps passée dans les mœurs, on remplaçait la consultation adressée au peuple et l’appel d’une convention par une procédure analogue, mais plus simple ; c’est ce qu’on nomme le mode spécifique. C’est ainsi qu’en Pensylvanie la loi politique décide que, si des amendemens constitutionnels sont votés par les deux chambres, ces amendemens seront publiés dans un journal de chaque comté trois mois au moins avant les nouvelles élections. L’opinion étant avertie, et les députés nommés en vue du changement proposé, si la nouvelle législature adopte les amendemens, on les soumet à la ratification populaire en réservant au peuple le droit de voter séparément et distinctement sur chaque article. On voit combien on prend de précautions pour limiter le pouvoir des assemblées, pour réserver la décision au véritable souverain. Dans un assez grand nombre de constitutions, et notamment dans la constitution fédérale, on exige en outre que la législature ne puisse présenter d’amendement qu’à une majorité considérable, aux deux tiers des voix par exemple : on a voulu se mettre en garde contre la manie des innovations, mais cette condition n’est point regardée comme une limitation de la souveraineté populaire ; aucun jurisconsulte ne doute que, si l’opinion se prononce, les assemblées n’aient le droit de consulter directement le peuple à la simple majorité. La question s’est présentée plus d’une fois, notamment à New-York en 1846, au Massachusetts en 1853 ; elle a toujours été résolue dans le même sens[1]. En d’autres termes, aux États-Unis on n’a jamais compris qu’en France, en 1851, une minorité de députés ait pu s’enfermer dans la constitution pour refuser d’interroger la nation et placer le pays entre une révolution et un coup d’état. En Amérique, rien ne peut entraver la souveraineté populaire ; en tout temps, en tout lieu, en toute occasion, elle doit avoir et elle a le dernier mot.

Voilà pourquoi dans tous les systèmes les réformes constitutionnelles ne sont qu’une lettre morte jusqu’à ce que le peuple leur ait donné la vie en les ratifiant. L’abolition de l’esclavage, l’égalité politique des noirs et des blancs, ne sont entrées dans la constitution fédérale qu’après avoir été sanctionnées par la nation tout entière. La pierre angulaire de la liberté américaine, c’est le vote populaire. Jamais on ne l’écarte, jamais on ne l’élude. Chacun reconnaît que la nation seule a le droit d’organiser son gouvernement, et qu’à elle seule appartient le pouvoir constituant, apanage de la souveraineté.

Ce respect de la volonté générale est poussé si loin

  1. Jameson, p. 209, 210.