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pays. Ce qui est en Angleterre une institution conservatrice serait en France un instrument de révolution.

Viendra-t-il un jour où, le flot de la démocratie montant de plus en plus, les Anglais se lasseront de la royauté ou songeront à supprimer l’hérédité de la pairie ? Bien hardi qui oserait l’affirmer ; mais, à juger de l’avenir par le passé, on peut être sûr que, même en ce cas, les Anglais n’abandonneraient aucune de leurs vieilles libertés. Le changement, plus apparent que réel, se ferait lentement, pacifiquement, et par l’effort même du pays. On dénouerait adroitement le nœud gordien, on ne le trancherait pas. A moins d’une révolution dans les idées et dans les mœurs, révolution que rien ne fait prévoir, jamais l’Angleterre ne donnera le spectacle étrange d’un peuple qui, du jour au lendemain, se jette tête baissée dans les aventures, passe de la monarchie à la république pour sauter brusquement de la république à l’empire, brisant toutes les barrières ou supprimant au besoin toutes les libertés par amour de la logique, par caprice ou par ennui. Bien convaincus qu’un peuple sans passé est un peuple sans avenir, les Anglais s’en tiendront à leur constitution, toujours ancienne et toujours nouvelle, heureux de la sagesse de leurs ancêtres et fiers de leur propre bon sens.


III

Si l’Angleterre ne peut nous servir d’exemple, il en est autrement de l’Amérique, et pour plus d’une raison.

C’est aux États-Unis que nous avons emprunté les constitutions écrites, les déclarations de droits, l’idée du pouvoir constituant et le nom même des conventions, c’est-à-dire des assemblées qui sont spécialement chargées de faire et de réviser les constitutions. On n’a point assez étudié cette influence des États-Unis, quoiqu’elle soit hautement confessée par ceux qu’en 1789 on appelait les Américains, c’est-à-dire les Lameth, les Lafayette, les Noailles et leurs anciens compagnons de la guerre d’indépendance. Il est vrai que l’imitation n’a pas toujours été heureuse, et que plus d’une fois, en exagérant un principe juste, on en a fait une erreur ; mais trop souvent aussi l’assemblée constituante a préféré aux idées américaines des chimères inventées par les élèves de Rousseau. C’est ce qui est arrivé dans la question qui nous occupe. Sieyès l’a emporté sur Lafayette, et en confondant le pouvoir constituant et le pouvoir législatif il a tout brouillé et tout perdu.

L’Amérique a encore pour nous ce grand avantage qu’elle est une démocratie. Le fondement de ses institutions, c’est la souveraineté du peuple. C’est à la nation seule qu’il appartient de choisir la