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Voltaire habitât les bords du lac de Genève, s’il avait toujours les yeux et l’esprit du côté de cette La Mecque moderne des philosophes, et s’il avait fait vœu d’y venir en pèlerinage avant de mourir ?

Nous avons reçu à nos dépens les meilleurs enseignemens d’art militaire de Frédéric II ; mais celui-ci n’a pas cru sa gloire assurée tant qu’elle n’était pas saluée par nos acclamations. Il répétait à son tour le mot d’Alexandre : « O Athéniens, que de fatigues j’ai supportées pour être applaudi de vous ! » Les Anglais nous donnaient de bons exemples politiques dont nous avions tort de ne pas faire notre profit ; mais ils ne se croyaient de parfaits gentlemen qu’après avoir passé l’épreuve d’un séjour de quelques années dans notre capitale. La politesse exquise ne s’apprenait pas ailleurs. On y venait puiser les règles de cette culture superficielle dont la cour, sous le règne précédent, avait fondé la tradition, et les loisirs étaient encore assez grands pour que le temps que l’on y consacrait ne parût pas mal employé. Un siècle et une ville qui faisaient de la littérature leur principale occupation, et dont les autorités les plus écoutées étaient des femmes, ne refusaient pas leur attention à des choses qui nous paraîtraient aujourd’hui bien petites. Il plut un jour à Mme Du Deffand de faire une surprise à son ami Horace Walpole : on lui fit trouver sur sa table de travail à Londres un coffret renfermant un portrait de Mme de Sévigné et une lettre imitée du style de cet écrivain, dont Walpole était le fervent adorateur. C’est de l’influence française sous sa forme la plus gracieuse. Grand étonnement de celui qui recevait le cadeau, recherches infructueuses pour en connaître l’auteur, soupçons délicats, méprises piquantes : ce fut toute une histoire ; mais ce qui donna son cachet à la petite anecdote, c’est qu’on employa l’ambassade française pour faire la commission, et que pour en pénétrer le secret l’ambassade fut une seconde fois mise en mouvement. Cette affaire d’état occupait des diplomates vieillis sous le harnais.

Comme échantillon des relations internationales de Paris avec l’étranger, c’est peu, j’en conviens, mais la société parisienne n’avait pas le choix ; le vrai gouvernement était à Versailles, et ces riens n’étaient pas d’un moindre prix de l’autre côté du détroit que du nôtre. Ces fiers hommes d’état qui dictaient des lois à leurs souverains se tenaient fort honorés d’une distinction, d’une politesse obtenue dans un de nos salons. Ce qui était regardé ici comme sérieux ne perdait rien de son importance en traversant la mer. La querelle de Hume et de Rousseau ne trouva pas en Angleterre des partisans moins passionnés qu’en France. « L’étrange événement qui occupe à cette heure l’Angleterre et la France, » voilà en quels termes en parle Mme de Boufflers dans une lettre à l’un de ses deux amis, son ami de Grande-Bretagne. Ne s’agirait-il pas d’un