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roi des damnés, à se montrer devant lui ; il lui offre en immolation un individu de toutes les espèces qui vivent sur la terre, dans l’air ou dans les eaux, et c’est alors qu’il apparaît. « Oui, s’écrit Cyprien avec une sorte d’enthousiasme pour l’énormité de son crime, oui, mes amis, croyez-moi, j’ai vu le grand démon ; je l’ai vu, je lui ai parlé, je l’ai embrassé. Il m’a loué de mes œuvres, m’appelant un noble jeune homme, un de ses pontifes les plus chers. Que dis-je ? il m’a fait asseoir sur son trône, et m’a remis le royaume de la terre avec le commandement sur son peuple de démons. La noire tourbe des esprits mauvais s’est prosternée devant moi, jurant fidélité à mon empire. » La peinture du grand démon, Bélial ou Satan, prend dans le poème d’Eudocie quelque chose de grandiose qui nous rappelle le Paradis perdu de Milton. « Son visage, nous dit-elle, resplendissait comme une grande fleur d’or, ses yeux lançaient des rayons de lumière ; sur sa tête, une couronne entremêlée à ses cheveux et ornée des pierres les plus précieuses remplissait l’espace de son éclat. Son vêtement ressemblait à un riche manteau, et chacun de ses mouvemens faisait trembler la terre. Une nombreuse troupe de guerriers armés de piques entourait son trône, tenant les yeux baissés par respect. Lui illuminait tout le palais, comme ces dieux de l’Olympe à qui les astres font cortège, et qui versent sur la terre la fécondité. Le démon singe la gloire et la magnificence du Très-Haut, contre lequel il ose se mesurer ; mais c’est en vain qu’il croit abuser les hommes par cet appareil de grandeur, sa débile puissance ne produit jamais que des illusions. »

Rentré enfin dans Antioche, Cyprien se montre digne du haut rang que l’enfer lui a conféré : il est le plus dangereux des imposteurs, se faisant passer pour Dieu ou au moins pour quelque chose de plus grand que le Christ. Rien ne l’arrête dans ses perversités ; la loi que lui avait imposée le grand démon était de lui faire des libations de sang tirées de toute créature ; il sacrifie surtout des créatures humaines. Au moyen de ses sortilèges, il se livre à toutes les débauches, séduisant les filles, corrompant les femmes, prenant toutes les transformations pour parvenir jusqu’à elles. Il raconte alors son amour insensé pour Justine, ses tentatives pour l’enlever, et la défaite des esprits infernaux suivie de sa pénitence : l’auditoire savait le reste. Telle est sa confession et le sujet du second livre du poème.

Le troisième livre nous ramène près de Justine. La douce vierge a dompté, mais non étouffé son amour. Lorsqu’elle apprend le changement opéré dans la vie de Cyprien, elle rend grâce à Dieu et se décide elle-même à mettre une barrière éternelle entre elle et le monde. Elle coupe sa belle chevelure, et, devant deux flambeaux