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Elle se remit cependant, grâce à ses efforts sur elle-même. En apercevant sa santé qui revient et probablement l’éclat de la jeunesse avec elle, ses parens ne lui parlent plus que de changer de vie et de se marier. Satan s’arme lui-même de cette idée par laquelle il espère pouvoir enfin la dompter. Un jour Justine voit entrer chez elle une femme, vêtue comme les vierges consacrées, qui s’assied sur son lit et lui dit : « J’arrive des contrées de l’extrême Orient, et c’est le Christ qui m’envoie vers toi, afin que je t’entende et que j’apprenne par ton exemple à devenir parfaite ; mais, chère dame, je me demande en te contemplant quel prix tu retires de ta chasteté et quelle récompense tu attends de cette guerre que tu livres à tous les instincts de la nature. Tes membres sont glacés comme ceux des morts ; ta vie est pauvre et misérable ; ta table n’en éloigne pas même la faim. — Cela me coûte peu, répond la candide jeune fille, et la récompense que j’en attends est immense. — Tu le crois, réplique l’étrangère avec un sourire moqueur ; mais moi, je ne le crois pas. Dis-moi, je te prie, si Eve resta longtemps vierge lorsqu’elle habitait avec son époux sous les délicieux ombrages d’Éden. Elle ne le resta certes pas au dernier jour, quand elle devint la mère du genre humain : il fallait bien qu’elle eût partagé la couche d’Adam. Elle connut alors ce que c’était que le bien. » Ces paroles ébranlèrent l’esprit affaibli de Justine, elle voulut se lever poursuivre cette femme hors de la maison ; mais, la pensée du Sauveur s’étant présentée à elle, elle pria, et au premier signe de croix les fantômes de l’enfer s’évanouirent.

Tout avait échoué contre cette fille invincible, et Cyprien, qui l’aimait d’un amour sincère, ne voit plus de ressource pour lui que dans l’anéantissement de sa passion. À bout de souffrances, il s’adresse au redoutable démon qui avait tant fait pour le servir. « Je meurs, lui dit-il, éteins en moi ce feu qui me dévore. — Je ne le puis, répond l’esprit de ténèbres ; puissans pour le mal, nous sommes impuissans pour le bien. » Alors se passe entre Cyprien et Satan une scène effrayante, dans laquelle le magicien détrompé accable l’esprit infernal de malédictions et d’insultes ; il lui reproche sa faiblesse ou sa lâcheté. « Tu ne peux rien, lui crie-t-il, et tu veux lutter contre Dieu ! Eh bien ! moi, j’invoquerai le Dieu de Justine, j’irai trouver cette vierge, je baiserai le pavé qu’elle a foulé de ses pas, je lui dirai qu’elle m’apprenne à faire le signe de la croix. » cette menace met le démon hors de lui ; il se précipite sur le magicien, le prend à la gorge et veut l’étouffer. Jacob avait lutté contre un ange ; Cyprien lutte contre un esprit de l’enfer. « Viens à mon secours, s’écrie-t-il dans sa détresse, sauve-moi, Dieu de Justine ! » Et le diable lui réplique en ricanant : « Il ne fera rien pour toi, misérable, chargé de tous les crimes. Il faut au Christ des gens innocens, il