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vieux ennemis, qu’on avait pu croire réconciliés, venaient de se brouiller de nouveau, et voici à quelle occasion.

Ce n’était pas de gaîté de cœur et pour le plaisir de batailler qu’Iezdjerd avait rompu cette paix de cent ans qu’il avait conclue jadis avec Arcadius : la force des choses l’avait entraîné malgré lui. Je l’ai déjà dit, Iezdjerd aimait les Romains : leurs mœurs, leurs sciences, leur civilisation, l’attiraient ; le christianisme aussi avait touché son cœur, car christianisme et civilisation romaine se confondaient alors dans l’idée des barbares ; et ce roi de Perse avait laissé à la propagande chrétienne dans son royaume la plus entière liberté. Beaucoup de conversions avaient eu lieu surtout dans son entourage, et les missionnaires allaient jusqu’à pronostiquer la sienne. « Le roi de Perse se christianise, » écrivait vers cette époque un historien romain. Ce double penchant vers les deux formes de la romanité pouvait mériter à Iezdjerd le titre de bon à l’occident de l’Euphrate, mais il lui valut celui de mauvais chez ses propres sujets, et les écrivains persans le lui ont conservé dans l’histoire. Sa tolérance pour les chrétiens, son mépris superbe pour la religion de Zoroastre, avaient excité contre lui la haine des mages, qu’un roi de Perse ne bravait guère impunément.

Dans cette situation des esprits, un excès de zèle chrétien vint tout compromettre, même le pouvoir du roi. Le chef des missionnaires, qui résidait à Suse et se qualifiait d’évêque de la Perse, réunissant un jour une troupe de ses disciples, se jeta sur une des enceintes consacrées par la loi de Zoroastre, où on entretenait le feu éternel, symbole de l’âme du monde, et que les Grecs appelaient Pyrée. Abdas, c’était son nom, aidé de ses prosélytes armés de marteaux et de pioches, démolit le Pyrée et étouffa le feu sacré sous ses ruines. Une grande émeute eut lieu dans Suse à ce sujet, et, pour éviter qu’elle ne gagnât au dehors, Iezdjerd voulut que l’évêque rétablît sans délai le temple qu’il avait renversé ; l’évêque s’y refusa, et l’émeute se changea en révolution. Les mages s’emparèrent du gouvernement, appelant aux armes les adorateurs du feu contre les adorateurs du bois (c’étaient les formules usitées), et une chasse furieuse commença contre les chrétiens. Bon gré, mal gré, Iezdjerd dut diriger une persécution qui sévit d’abord contre ses amis, ses officiers et des personnages de haute naissance chez les Perses. Le nom des martyrs qui périrent à cette occasion indique assez que ce n’était pas dans les derniers rangs de la société que le christianisme trouvait surtout ses adeptes. On cite parmi eux un certain Suénès, maître de mille esclaves, disent les textes hagiographiques, et Hormisdas, de la race des Achéménides, fils d’un satrape, et lui-même très honoré dans le royaume. On