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prétendait que son autorité lui venait de Dieu. Ses prêtres eux-mêmes l’appelaient le pharaon et non l’évêque de l’Égypte chrétienne. À côté de lui, dans la même ville, siégeait un préfet nommé Oreste, magistrat exact, jaloux de ses droits, qui regardait comme un devoir de les faire respecter par tout le monde. Évêque et préfet vivaient donc en état d’observation perpétuelle vis-à-vis l’un de l’autre, et chaque fois qu’il survenait un conflit entre les deux juridictions, ce qui arrivait sans cesse, des récriminations violentes éclataient, souvent même les partisans de l’évêque en venaient aux mains avec les soldats du préfet.

On sait qu’aucune des grandes cités de l’empire, ni Rome, ni Constantinople, ni Antioche, ne renfermait une populace plus irritable, plus séditieuse, plus cruelle que celle d’Alexandrie : tout dans cette malheureuse ville devenait révolte, et toute révolte amenait un massacre. Les représentations théâtrales, celles des mimes surtout, donnaient à ces passions féroces des occasions périodiques d’éclater. Des factions se formaient pour ou contre un lutteur ou un mime, le sang coulait, et le préfet à chaque instant était obligé d’intervenir pour protégea l’ordre ou rétablir la paix ; seulement la difficulté était grande quand les chrétiens, que le patriarche appelait son peuple, se trouvaient compromis dans une affaire avec des païens ou des Juifs.

La cité d’Alexandre le Grand renfermait dans ses murs une colonie juive qui remontait aux premiers temps de son existence. C’était une petite nation, adonnée uniquement au commerce, où elle s’était enrichie, et où, tout en s’enrichissant, elle avait créé pour la ville cette prospérité fabuleuse dont parle l’histoire, fait du port d’Alexandrie le rendez-vous du commerce du monde. Cantonnée dans un quartier particulier, la colonie juive conservait les mœurs et la religion de ses ancêtres ; ses synagogues étaient remplies de richesses que le bruit populaire exagérait encore. Une telle opulence n’était pas sans offusquer les chrétiens, surtout cette population indigène fainéante dont la seule industrie était de mendier quelques légumes pour vivre, ou d’aller s’enterrer dans les solitudes de Thèbes et de Scété pour y bien mourir. Les chrétiens n’auraient pas dû oublier pourtant, dans leur jalousie contre les Juifs d’Alexandrie, qu’ils leur devaient cette traduction grecque de l’Ancien-Testament qu’on appelait la Version des Septante, et qui jouissait dans les églises orientales d’un crédit égal à l’original hébraïque lui-même ; mais une haine ardente régnait entre ces populations différentes de cultes, de mœurs, de condition, de fortune, et il advenait presque toujours dans des factions d’Alexandrie que tes Juifs se mettaient d’un côté, et les chrétiens de l’autre.