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Au moment où devait être tenté de toutes parts le suprême effort que commandait la prévision de la chute prochaine de Paris, l’armée du nord quitta ses cantonnemens de Boisleux, près d’Arras, le 10 janvier. Il était impossible de songer à marcher sur Paris avec une si faible armée, car les Allemands avaient fait sauter tous les ponts de la Somme, d’Amiens à Corbie ; ils s’étaient barricadés dans les villages de la rive droite ; ils avaient couvert Amiens en fortifiant le cours de la Hallue, affluent de la rive droite de la Somme. Le général Faidherbe, qui savait que la garnison de Paris allait tenter une sortie, résolut de marcher sur Saint-Quentin, de manière à faire craindre à l’ennemi que ses communications ne fussent coupées à Tergnier, entre Reims et Compiègne d’une part, entre Reims et Amiens de l’autre. « J’étais sûr, dit-il, d’avoir bientôt affaire à des forces très considérables ; mais le moment de se dévouer était venu. » Malheureusement deux incidens dérangèrent ses combinaisons. Péronne, qui était investie depuis le 18 septembre, et qu’il comptait débloquer, capitula le jour même où il se mettait en marche, après avoir subi un furieux bombardement qui n’a épargné que de rares maisons dans la petite ville. L’armée du nord était obligée de laisser derrière elle, occupée par l’ennemi, une place sur laquelle elle aurait pu s’appuyer dans son mouvement vers le sud. Une autre opération, confiée à un petit corps d’armée qui reçut l’ordre de chasser de Saint-Quentin la garnison saxonne, eut un meilleur succès ; mais elle révéla trop tôt les projets de l’armée française au général von Gœben. Pendant que sur les chemins luisans de verglas nos jeunes soldats marchaient péniblement sans avancer vite, von Gœben prenait la direction de Saint-Quentin, et les renforts lui arrivaient de tous côtés. A Laon, le 16 janvier, le 17, le 18, on voit passer, le jour, la nuit surtout, d’énormes convois de troupes qui viennent de Reims et se dirigent vers La Fère. Plusieurs, sinon tous, arrivent de Paris. D’autre part, Chauny a logé des troupes envoyées de Compiègne. Le 18 janvier, l’ennemi était déjà en mesure d’attaquer en forces notre armée près de Vermand, à l’ouest de Saint-Quentin ; un combat sanglant est livré ce jour-là. Dans l’ordre du jour qu’il adresse le 18 à dix heures du soir à son armée, von Gœben regrette que les forces allemandes qui ont été engagées n’aient « pu suffisamment poursuivre l’ennemi, ni arriver aux positions qui leur avaient été assignées ; » mais il annonce pour le lendemain une belle et complète victoire : évidemment il croyait anéantir d’un seul coup l’armée du nord. Il trace à grands traits le plan de la bataille du lendemain : le général Kummer attaquera la ville par l’ouest, en suivant les routes de Vermand et d’Étreillers ; il étendra sa gauche jusqu’à la route de Cambrai, et tournera Saint-Quentin au nord ; le comte de Lippe attaquera par le sud, en suivant la route de La Fère,