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ses déraisons, et qu’on ne peut battre, car nous ne sommes plus au temps de Philippe le Bel. Cependant le cas n’est point désespéré. Le pape est Italien, il l’est plus encore qu’il ne le croit, et bien plus qu’on ne le croit en France, — et de notre côté nous possédons une qualité dont il sent tout le prix : en matière dogmatique, nous sommes indifférens et politiques dans l’âme. L’indifférence ne tient pas à ses objections, elle se prête aux accommodemens, aux compromis. Le dogme de l’infaillibilité a fait jeter les hauts cris aux catholiques libéraux d’Allemagne et de France ; que nous importe, à nous Italiens ? Nous ne crions pas facilement, et nous ne chicanerons jamais le saint-père sur l’idée qu’il aime à se faire de lui-même. Lors de la discussion de la loi des garanties, quelqu’un proposa d’y ajouter un article pour sauvegarder la liberté des cultes. L’habile, éloquent et spirituel rapporteur de la commission, M. Bonghi, lui répliqua : Vous prenez une peine inutile ; en Italie, ce n’est pas la loi qui manque à la liberté des cultes, c’est la liberté des cultes qui manque à la loi… Croyez-moi, ajouta mon homme, à la longue tout s’arrangera. Le saint-père comprendra qu’il a tout à gagner à s’entendre avec nous. Qu’il accepte tristement, mais franchement le nouvel ordre de choses, que l’Italie ne voie plus en lui le grand obstacle à l’affranchissement de ses destinées, et il sera tout-puissant chez nous, assez pour nous faire peur à nous autres libéraux. Oui, le jour où le pape, mettant sous ses pieds son non possumus et renonçant à son abstention chagrine, s’avisera de se mêler de nos élections, grâce aux femmes et aux curés, il aura un parlement à lui, et un parlement vaut cent fois plus qu’un jardin. Que si jamais on nous dotait du suffrage universel, ah ! dans ce cas je craindrais une chose, c’est que dans la chambre italienne la gauche ne fût composée de cardinaux ! »

Au mois de février dernier, l’une des feuilles importantes de l’Italie s’attachait sagement à combattre les craintes irréfléchies qu’excitait dans le cœur des Italiens l’avènement de M. Thiers au pouvoir. « Quoi qu’ait pu dire ou faire, ou désirer autrefois M. Thiers, disait cette feuille, il ne sera jamais un danger pour nous, car il ne se laissera guider que par l’intérêt français, et l’intérêt de la France est de se réserver pour toutes les occasions et pour toutes les alliances. » Le président de la république a justifié cette prédiction. Il sacrifiait noblement, hier encore, son protectionisme à l’intérêt français ; il lui sacrifie aussi ses regrets, ses déplaisirs et ses rancunes. Il ne suffit pas de bien dire ; un seul acte vaut cent déclarations. Que le gouvernement français se décide à n’avoir plus en Italie qu’un seul ministre accrédité auprès du roi et chargé aussi de le représenter au Vatican, ou, s’il le préfère, qu’il remplace son ambassade de Rome par un agent ecclésiastique qui représentera le ministre des cultes auprès de sa sainteté ! Cette salutaire résolution lui épargnerait de grands embarras, car il préviendrait ainsi les tiraillemens