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auquel elle ne pense avoir quelque chose à réclamer au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Toutefois la Prusse est loin, et la France est près ; la Prusse est protestante, et ne porte qu’un médiocre intérêt à la restauration du pouvoir temporel ; la France a un parti clérical très remuant, qui accable chaque jour de ses anathèmes les spoliateurs du saint-siège. Les Italiens en concluent que, si la Prusse est un danger lointain, la France est un danger prochain, et ils sont disposés à pourvoir au plus pressé. C’est ainsi qu’au mois de mars dernier ils s’occupaient déjà de renouer avec Berlin par l’entremise de l’Autriche, et que plus récemment, s’ils ne sont pas allés à Gastein, du moins ils se sont mis en mesure de savoir ce qui s’y disait, et d’y faire dire certaines choses qui leur tiennent au cœur.

Assurément il y a une part considérable de rêverie dans ces défiances et ces appréhensions ; tout cependant n’y est pas chimérique. Est-ce une chimère que la droite de l’assemblée nationale et ses impolitiques incartades ? Est-ce une chimère que les manifestes du comte de Chambord, bien qu’en les lisant on se frotte les yeux pour s’assurer si l’on veille ou si l’on dort ? Ce n’est pas une chimère non plus que les pétitions de ces évêques, qui trouvaient tout simple que la France épuisée d’hommes et d’argent se remît incontinent en campagne, empruntât un milliard de plus pour restituer Rome au saint-père. Et peut-on nier que nombre de catholiques libéraux n’aient prêché la croisade avec autant d’ardeur que les ultramontains ? Au zèle de néophytes que ces gens-là déploient en faveur du pouvoir temporel, on devine aisément qu’ils ont quelque chose à se faire pardonner, que ces orthodoxies suspectes veulent se refaire une virginité. Ce qui est certain aussi, c’est que dans ces derniers mois le gouvernement français ne s’est pas assez appliqué à tranquilliser l’Italie, à dissiper ses alarmes et ses ombrages. Il avait pour ministre à Florence un homme du plus sérieux mérite, qui joint à la fermeté du jugement l’autorité de l’expérience et du caractère. Ce ministre avait compris que les nouvelles situations imposent de nouveaux devoirs et de nouvelles conduites, que la France devait accepter franchement les faits accomplis, abjurer ses vieilles prétentions, et travailler par une politique à la fois ferme et conciliante à se gagner la confiance des Italiens, à empêcher du moins que ces amis trop inactifs ne devinssent un jour des ennemis actifs et dangereux. Au vif regret des Italiens qui aiment la France, M. Rothan a été subitement rappelé, et par le même décret qui lui donnait un remplaçant on accréditait un ambassadeur auprès du pape. Si la France se fait représenter auprès du saint-siège par une ambassade, auprès du roi d’Italie par une simple légation, qui donc est à ses yeux le vrai maître de la maison ? Aussi bien le roi d’Italie a depuis plusieurs semaines quitté Florence, la légation française y est encore. Quel contraste entre ces procédés douteux,