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Il y a des événemens d’un ordre universel qui touchent à tous les intérêts de l’industrie et du commerce aussi bien que de la politique dans le monde. L’inauguration toute récente du tunnel du Mont-Cenis a certainement ce caractère. C’était une des grandes pensées de Cavour, et comme une partie de cette politique qui devait conduire à l’indépendance italienne. Cette colossale percée des Alpes s’est poursuivie depuis douze ans à travers tous les événemens, elle s’est achevée au bruit de la dernière guerre. L’inauguration qui a eu lieu l’autre jour était une fête pour les deux peuples entre lesquels cette grande voie est un nouveau lien. Quand la politique bien entendue, les traditions, les intérêts rapprochent presque forcément deux nations, comment des passions de parti arriveraient-elles à les diviser ? C’est au fond l’idée qui a été exprimée par les ministres du roi Victor-Emmanuel pour l’Italie, et pour la France par M. le ministre des affaires étrangères, par le ministre du commerce, M. Victor Lefranc. M. de Rémusat a surtout été heureux dans quelques paroles prononcées à Turin, et par le fait cet événement, en apparence industriel, a eu un résultat politique : celui de dissiper tous les ombrages en rendant la France et l’Italie au sentiment des relations d’amitié qu’elles se doivent de garder entre elles.

CH. DE MAZADE.


CORRESPONDANCE

À M. LE DIRECTEUR DE LA REVUE DES DEUX MONDES.
Bâle, 28 septembre.
Monsieur,

C’en est donc fait, le Mont-Cenis a été officiellement supprimé ; désormais on ne passera plus dessus, on passera dessous en trente ou quarante minutes. Cette nouvelle conquête de l’industrie, de la patience et du génie humains méritait d’être célébrée par des banquets et des discours ; les discours et les banquets ne lui ont point fait défaut. De part et d’autre l’accueil a été cordial et empressé, et les inquiétudes qu’on avait pu concevoir n’ont point été justifiées par l’événement. En vérité, pouvait-on s’inquiéter sérieusement ? Les hommes qui représentaient à cette fête la France et l’Italie étaient bien propres à en garantir le succès. La France avait envoyé à Turin un ministre des affaires étrangères dont le naturel généreux et libéral est accompagné d’un esprit aussi charmant que solide, et quiconque connaît M. Visconti-Venosta sait avec quelle attention cet homme d’état s’observe dans ses discours, combien il sur-