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les deux premiers milliards de l’indemnité allemande. Ceci est pour le passé, mais l’avenir ! Il reste toujours trois milliards à trouver pour les donner à l’Allemagne avant le 1er mai 1874, il reste l’indemnité promise aux départemens envahis, il reste bien d’autres choses encore. De toute façon, après avoir bien calculé, bien supputé, bien additionné, on sera bien heureux, si le prix de la guerre de 1870 ne dépasse pas 9 milliards, et pour faire face à nos charges nouvelles nous avons à trouver 600 millions, peut-être plus, de ressources permanentes. Le gouvernement, on le sait, avait proposé un certain nombre d’impôts nouveaux, la commission du budget a ratifié quelques-unes de ces propositions, et par le fait l’assemblée a voté 360 millions de contributions nouvelles. Pour le reste, le gouvernement maintient encore, à ce qu’il semble, son projet d’une taxe de 20 pour 100 sur l’entrée des matières premières, la commission de l’assemblée au contraire repousse ce projet, et propose à la place d’autres taxes de diverse nature, parmi lesquelles il y a un impôt, non pas sur le revenu, mais « les revenus. » On s’est arrêté là, on n’a rien voté encore de cette dernière partie des propositions financières.

En réalité, quand on y regarde de près, il est impossible de ne pas voir à quel point ces budgets que nous sommes condamnés à préparer désormais vont être surchargés par cette aggravation soudaine de la dette. On y pourvoit par les impôts nouveaux, il le faut bien ; le fardeau n’est pas moins accablant, et sans jeter un regard indiscret sur l’avenir on peut se demander si un budget ainsi alourdi, traînant en quelque sorte à sa suite ce boulet, ce chiffre démesuré de près de 800 millions d’intérêts, n’est pas de nature à désarmer d’avance la politique de notre pays en face d’événemens imprévus. Or dans cette situation ne vaudrait-il pas mieux chercher quelque autre combinaison ? Pourquoi ne s’occuperait-on pas d’abord d’établir un budget ordinaire simple, aisé, dégagé du fardeau des dépenses récentes ? D’un autre côté, on ferait la liquidation de nos dernières catastrophes, on préparerait un budget spécial de la guerre, et on demanderait résolument à la France de s’acquitter dans un certain nombre d’années par une contribution unique. L’état fixerait la part de chaque département dans la proportion de sa richesse et de sa population, les départemens à leur tour fixeraient la part proportionnelle des arrondissemens ou des communes d’après des règles déterminées. Sans doute cette forme d’une contribution unique et spéciale est en apparence plus dure. En général les meilleurs impôts sont ceux qu’on sent le moins, ceux qu’on paie en détail, presque sans s’en apercevoir, et M. Thiers avec sa grande expérience a pu dire dans son dernier message à l’assemblée : « C’est une vérité usuelle que le poids indéfiniment divisé devient presque insensible pour ceux qui le supportent. » Oui, rien n’est plus vrai dans des circonstances ordinaires ; mais ici tout est extraordinaire.

Où donc est la nécessité que la France ne sente pas le poids des